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4 octobre 2012

5 Murakami mon amour ! (bis)

Un véritable amour ne dure que trois ans, prétend un auteur qui a la faveur des médias. Celui-ci a duré six romans (Kafka sur le rivage ; la balade de l’impossible ; la fin du temps ; la course au mouton sauvage ; les amants du spoutnik ; au sud de la frontière, à l’ouest du soleil). Je ne lisais plus qu’Haruki. Je ne voyais qu’avec ses yeux. Je ne pensais qu’à lui (jour et nuit). Bref, il comblait tout mon univers. J’étais un homme heureux.

 

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Puis un beau jour (ou une belle nuit), tout s’est arrêté. Nous ne nous sommes pas pour autant quittés fâchés, du tout, mais vous savez comme vont les choses, une certaine lassitude s’était installée après tant de moments mémorables, un besoin d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte s’était poco a poco insinué, etc. L’homme est foncièrement infidèle, dit-on, où malhabile à construire un amour qui dure toujours. Et pourtant c’est possible, si si si…

Il me reste la nostalgie. Mais par définition, la nostalgie n’est pas un désir d’avenir. Elle ne m’a même pas incité à découvrir le dernier roman de Murakami 1Q84, dont la presse fait grand bruit à renfort de publicités. L’amour est comme ça. On se souvient avec une infinie tendresse et un plaisir à jamais renouvelé de ses amours passées, sans avoir aucune envie d’y revenir. C’est comme un miroir qui renvoie une très belle image de soi, celle du temps où on était jeune, Jef, celle du temps d’avant où c’est qu’on était amoureux.

Alors, cher Haruki, en l’honneur du temps qui n’a pas été perdu, je me lève de mon bureau, selon un rite à présent bien établi, j’enjambe les deux mètres qui me séparent de la bibliothèque, je laisse ma main se saisir d’un de tes livres et mon petit doigt choisir une page (mon petit doigt ne me dit pas, mon petit doigt choisit) :

Sumire était une indécrottable romantique, doublée d’une cynique et d’une têtue. Pour s’exprimer plus joliment, elle n’avait aucune expérience de la vie. Capable de parler pendant des heures, elle pouvait aussi se réfugier dans un mutisme total en présence de quelqu’un qui lui déplaisait (c'est-à-dire la majorité des individus). Elle fumait trop, égarait son billet chaque fois qu’elle prenait le train et avait tendance à oublier de se nourrir quand elle réfléchissait intensément – en conséquence, elle était maigre comme une de ces orphelines de guerre qu’on voit dans les vieux films italiens, avec de grands yeux ressortant dans un visage émacié. Une photo serait bien plus parlante que tous ces mots, malheureusement je n’en ai aucune. Elle détestait prendre la pose, ne souhaitait pas laisser à la postérité de « portrait de l’artiste dans sa jeunesse ». Si j’avais une photo d’elle, je suis sûr que ce serait un document inestimable pour montrer à quel point certains êtres humains peuvent être particuliers.

Mais revenons à nos moutons. La femme dont Sumire était tombée amoureuse, donc, s’appelait « Miu ». (ne me demandez pas pourquoi, je vois Miu sous les traits de l’artiste Leila Rose Chouban)

Leila (Rose) Chouban

 

Du moins est-ce sous ce diminutif affectueux que tout le monde la connaissait. J’ignorais son véritable prénom (ce qui devait par la suite se révéler une source d’embarras, mais j’en parlerai en temps voulu). Miu était de nationalité coréenne, bien qu’elle n’ait pas parlé un mot de cette langue jusqu’à ce qu’elle se mette en tête de l’étudier, à vingt ans passés. Elle était née au Japon, y avait été élevée, avait fait ses études dans un conservatoire de musique en France, si bien que, outre le japonais, elle parlait couramment le français et l’anglais. Toujours vêtue avec une rare élégance, elle portait sans affectation de petits accessoires de luxe, et conduisait une Jaguar bleu marine de douze cylindres.

Lors de leur première rencontre, Sumire et Miu parlèrent de Jack Kerouac. Sumire changeait à intervalles réguliers d’idole littéraire (hé hé – note du blogueur) et son admiration du moment allait exclusivement à cet écrivain passé un peu de mode. Elle avait en permanence dans la poche de sa veste un exemplaire de « Sur la route » ou du « Vagabond solitaire », qu’elle feuilletait dès qu’elle avait une minute. Quand elle tombait sur une phrase qui lui plaisait particulièrement, elle la soulignait et l’apprenait par cœur comme un soutra aux vertus salvatrices. Son passage préféré se trouvait dans la partie du « Vagabond solitaire » où Kerouac passe trois mois seul dans une hutte de montagne isolée à surveiller les incendies de forêt.

« Aucun homme ne devrait achever son existence sans avoir connu une fois cette solitude saine, même si elle est ennuyeuse, dans un endroit désertique ; on ne dépend plus que de soi et on apprend ainsi à connaître sa force véritable et cachée » (traduction de J. Autret, éditions Gallimard)

-Ça ne te paraît pas fabuleux ? m’avait demandé Sumire. Debout au sommet d’une montagne, contempler chaque jour un panorama à 360 degrés pour guetter l’apparition d’un feu de forêt ? C’est sa seule obligation. Il peut consacrer tout le reste de son temps à lire des livres qu’il aime et à écrire des romans. La nuit, un gros ours tout poilu vient rôder autour de sa cabane…Voilà le genre de vie qui me plairait. À côté, étudier la littérature à l’université a l’amertume d’un concombre pas mûr.

-Le problème est qu’il faut redescendre un jour ou l’autre de la montagne, avais-je répondu. Mais comme d’habitude, cette réflexion banale et terre à terre avait laissé Sumire de marbre.

Haruki Murakami, Les amants du Spoutnik, 10/18, pp 10-13

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