M’escapant de la publicité outrancière autour des prix littéraires, et très content de mon comportement, j’ai retrouvé mes vieux réflexes pour choisir un livre dans ma librairie préférée. Je me suis mis au milieu de la section des « poches », j’ai fermé les yeux et me suis avancé à tâtons, caressant les couvertures en me heurtant aux pieds des bacs et des étagères (mais aucun client ne m’a insulté, prenant ce vieux délabré en pitié), puis soudain, j’ai tendu le bras, mes doigts se sont amusés à tâtonner la couverture du poche qui allait être le bienheureux élu, j’ai ouvert les yeux et me suis emparé avec concupiscence du livre que ma main et son destin avait attrapé, une élue en l’occurrence.

(l'heureuse élue)

Grand bien me fasse, ce livre m’a salutairement secoué, un peu à la façon du Septentrion de Louis Calaferte (j’ai dit un peu - comparaison n'est pas raison). Ça pète dans tous les sens, l’ordre macho établi en prend à juste titre pour son grade, les tréfonds des tripes de la femme gisent sur la table et tout tourne comme en ce bas monde autour du sexe, sans le sun (d’où mon titre en référence à sea sex and sun pour ceux qui n’auraient pas suivi – j’en vois deux au fond de la salle), parce que le sexe peut être glauque, bassement intéressé ou tarifé.

(l'heureuse élue en furibarde)

Peut-être ne l’aviez-vous pas encore remarqué mais je suis friand de tout ce qui concerne le sexe et j’ai été servi au-delà de ce que j'en espérais. Pas pour me rincer l’œil comme on dit un peu vulgairement car je suis plus acteur que voyeur, mais pour me chambouler le cerveau au travers d’une tornade furibarde car ce livre court est un manifeste féministe anti-féministe. Je dois avouer que tout ce qui m’a secoué, je l’avais déjà peu ou prou pensé mais jamais exprimé dans une langue aussi crue, directe et in fine efficace. Mais soyons aussi court et peut-être aussi efficace que Virginie Despentes :

(l'heureuse élue vue par Léa Crespi pour Le Monde)

J'écris de chez les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n'ont pas envie d'être protecteurs, ceux qui voudraient l'être mais ne savent pas s'y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Parce que l'idéal de la femme blanche séduisante qu'on nous brandit tout le temps sous le nez, je crois bien qu'il n'existe pas.

Virginie Despentes, King Kong Théorie, le livre de poche.