Je vous livre une nouvelle fracassante, je suis Haruki Murakami (traduction, je m’identifie à lui). Je me suis souvent demandé pourquoi j’ai lu tous ses romans (à deux exceptions près) avec autant de plaisir. Il faut que je remonte jusqu’à mon adolescence pour trouver des auteurs dont j’ai à peu près lu tous les romans à la suite : en vrac Gilbert Cesbron, Jules Vernes, Julien Green, Conan Doyle, Graham Greene, Nikos Kazantsakis, Ernest Hemingway, Albert Camus, et j’en oublie, mais je n’oublie pas comment ils m’ont ouvert à la vie et au monde.
Juste après les attentats, en passant par ma librairie préférée pour acheter un essai de Fathi Benslama (l’idéal et la cruauté - Lignes) censé éclairer ma lanterne sur les processus inconscients liés à la radicalisation, je voulais également m’acheter un roman qui atténuerait ma douleur, si ce faire se pouvait. Après bien des regards éperdus croisés et décroisés sur les piles de romans de poche, je suis tombé sur un Murakami dont je ne connaissais même pas le titre. Banco, me suis-je dit, pas la peine d’aller plus loin, si c’est d’Haruki, ce livre va apaiser mon chagrin sinon le noyer. J’ignorais même que mon auteur préféré actuel courait, y compris un marathon par an.
Et bien les ami-e-s, même si je n’ai jamais aimé courir car j’estime que cela serait néfaste pour mes genoux (je les ai assez fatigué dans des randonnées en montagne où les descentes sont redoutables pour l’articulation du genou) et que je préfère de loin faire du vélo (d’appartement à présent) et marcher pour garder la ligne et la santé, je me suis découvert en lisant ce livre comme un Haruki Murakami moi-même, même si Haruki pense exactement le contraire de ce que je pense à propos du vélo. Si j’avais le talent de Murakami, j’aurais pu écrire exactement ce qu’il dit sur la course et sur lui-même en tant que romancier et coureur de fond, tant je ressens mot à mot son discours. Alors, me direz-vous, à quoi sert de lire un livre qui raconte exactement ce que vous pensez ? D’abord, avant de le lire, je ne le savais pas et ensuite ça fait toujours plaisir de penser comme un grand romancier, c’est mon côté consensuel qui se bat contre le pauvre rebelle.
Ce qui pour nous est le plus important ne se voit pas avec les yeux (mais se ressent avec le cœur). On obtient souvent les choses qui ont une véritable valeur au moyen d’actes apparemment improductifs. Même les actions qui semblent infructueuses ne sont pas forcément stupides. C’est ce que je pense. Ce que je ressens, ce dont j’ai fait l’expérience.
Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, 10/18, traduit du japonais par Hélène Morita