Si j’avais lu un article ou une critique décrivant le sujet du roman que je viens d’acheter, avant de l’acheter, je suis certain que je l’aurais dédaigné. Mais, comme vous le savez à présent, mon petit doigt s’est montré intraitable avec ma raison raisonnable : devant mon effarement (répétitif) face à l’infinitude du choix, il m’a dit tu prends le bouquin de ce romancier américain archiconnu où tu te démerdes ! Je n’avais plus d’autre alternative que de suivre son « conseil autoritaire » parce que si je devais me démerder seul, je succomberais à la hantise de me perdre dans une forêt de livres.
J’avais lu de ce romancier il y a très longtemps un roman (le monde selon Garp) qui m’avait beaucoup plu. Je partais donc avec un préjugé favorable. Le début de la lecture m'a pourtant été pénible. Ce roman me dérangeait en même temps qu’il m’attirait. J’ignorais ce qui m’attirait ou ce qui me dérangeait. J’étais mi figue mi raisin, pour rester dans l’ambiguïté, une page j’étais prêt à abandonner, une autre je me disais que je devais persévérer. Une affaire d’attrait-répulsion qui me plongeait dans des abîmes de perplexité. Des abîmes, n’exagérons rien ! Disons une profonde interrogation. Suis-je attiré ou ai-je de la répulsion, bon sang, je devrais le savoir quand même ! Et bien non, impossible de trancher au moins jusqu’où j’en étais arrivé, avec toujours la même problématique, une page je voulais arrêter, une autre j’étais scotché, pour utiliser un terme hideux mais expressif.
Pour ce qui est d’arrêter, que nenni, tout juste de la velléité, finis-je par conclure. Me voici rendu à la page 270 sur 590. Ce ne sont pas les troubles dans le genre qui me dérangent, du moins quand l’affaire est abordée de manière abstraite. Je peux très bien les accepter quand il s’agit d’une position intellectuelle. Mais comme je m’identifie facilement aux héros des romans, suivre Billy dans ses péripéties de garçon de dix-huit ans qui ne sait pas très bien où il en est question sexualité, est une expérience beaucoup plus forte et surprenante. Décidément, la sexualité dans ses positions concrètes, reste et restera un vrai mystère, tout comme « les erreurs d’aiguillages amoureux », les « horreurs » d’aiguillage répète Tom Atkins, le copain de Billy, qui n’arrive pas à prononcer « erreur ». Alors, brusquement, je n’ai plus du tout envie d’abandonner ce roman comme je viens d’abandonner le précédent qui m’est tombé des mains. N’insistez pas, je ne vous en parlerai pas. J’ai pour principe de ne jamais parler dans ce blog des livres que je n’aime pas et je n’ai failli qu’une seule fois. Si la sexualité reste pour l’essentiel mystérieuse, l’auteur n’en élude pourtant rien, surtout pas les situations scabreuses (aux yeux de sa mère et des femmes de sa famille en général, dans ce trou perdu du Vermont – USA, appelé First Sister) qui heurtent la décence des braves dames, pas si gentilles qu’elles le devraient. Dans ce roman, tout tourne autour du sexe. D'ailleurs, le monde tourne autour du sexe. Je me dis que la première liberté de l’individu (homme ou femme) devrait être la liberté sexuelle. Nous sommes encore loin du compte.
Franchement, j’aurais eu grand tort de ne pas lire ce roman qui se termine dans les années 1980 à New York avec le pic de la contagion par le Sida.
Pourquoi n'avais-je pas ressenti cette impression ? me demandai-je. Etait-ce uniquement parce que Miss Frost avait de petits seins . Si elle avait eu une forte poitrine, aurais-je été "intimidé" au lieu d'être aussi singulièrement stimulé ? Encore une fois me revenaient naturellement ces questions importunes : l'avais-je réellement pénétrée ? Si ce n'était pas le cas mais que ça se produisait la fois suivante, éprouverais-je du dégoût, au lieu de cette plénitude qui avait été la mienne ?
John Irving, A moi seul bien des personnages, Points, traduit de l'anglais par Josée Kamoun et Olivier Grenot