162 Sur le fil (mauvaise passe suite)
Ce n’est pas du grand Djian, celui que j’ai adoré dans 37°2, aussi bien qu'Echine, mais ça reste du Djian quand même, toujours à la limite des convenances et de la bienséance dans une écriture à rendre jaloux n’importe quel écrivain (sauf celles et ceux qui se croient ailleurs ou au-dessus). Pour moi Djian est un formidable créateur d’atmosphère. Je me laisse emporter par ses paysages incongrus, à la marge, qu’il nous fait passer pour vrais comme si on y était. C’est pareil dans ce roman sauf qu’il m’a moins touché. Voilà, c’est tout.
je me suis agenouillé devant sa chaise, le coeur serré qu'elle ne soit plus là, et j'ai commencé par y poser ma joue. L'assise de bois contreplaqué était encore tiède. J'en aurais pleuré de joie. Et cette tiédeur, Dieu du ciel, ce condensé d'air saturé qui avait rrégné sous sa jupe pendant que j'exposais les qualités et les défauts du style indirect, s'était tout simplement déposée sur le vernis, comme le voile ouaté de brume qui s'étend sur un lac de montagne, au petit jour, et qui reste là, piégé par je ne sais quel miracle, et l'odeur de cette fille, je manque de tomber à la renverse, je revois ses cuisses nues, sa jupe comme une corolle autour d'elle, je m'enivre de son odeur, je m'en emplis, je la renifle, je rassemble dans mes deux mains cette chose invisible qui renferme ses invraisemblables et précieux effluves corporels et je l'aspire profondément, j'en envahis mon cerveau, je titube.
Philippe Djian, Chéri-Chéri, folio