Ceci est mon deuxième essai. Le premier ne fut guère concluant. J’abandonnai la lecture des nouvelles de cet auteur par écœurement idéologique. Ce n’est pas glorieux mais cela peut arriver même à un gars milieutiste non-militant comme moi. Il faudrait être capable de passer outre et de disséquer les propos tant avec la tête qu’avec le cœur. Je l’avais pourtant bien fait avec Alain Finkielkraut avec lequel je suis rarement en accord, très rarement même, suite à la publication de son « identité malheureuse ». Et dans le cas précis d’aujourd’hui, il s’agit d’un écrivain dont je dois dire que j’admire l’écriture. Concise, précise. Je n’irai pas par quatre chemins, ce voyage à pied qu’il fit à travers la France, depuis Menton jusqu'au cap d’Hague, m’a beaucoup plu. J’ai glissé sur les pensées trop passéistes à mon esprit pour découvrir et lui reconnaître une certaine avance sur les leçons (s’il y en a) de la sale aventure du covid 19 que nous vivons. Le livre est paru en 2016. J’aime assez l’idée de sortir sur la pointe des pieds de notre société d’hyperconsommation qui s’évertue à fabriquer des choses inutiles ou superflues. Seulement pour donner du travail aux gens ? Parce que la notion d’objet superflu n’est pas la même pour tous ? Même jeune, je n’ai jamais été attiré par la société de consommation. Mais j’avais tout ce qu’il fallait à la maison. Trop sans doute puisque je suis parti sans rien !
-Mon fils, dit notre hôte.
Un type en bleu nous salua en silence, embrassa son père. L'ampoule à nu balançait au bout de son fil, éclaboussant d'ombre les visages.
-Vou voyez, j'ai été le fils puis le père d'un paysan, dit le vieux.
Entre les deux, la parenthèse d'une vie. "Dans mon enfance, on vivait avec quatre ou cinq vaches. On faisait trois saint-nectaire par jour. Ils en font cent cinquante aujourd'hui."
Je n'avais pas mené l'étude nécessaire à comprendre la mécanique de ces phénomènes ni ne disposait de la puissance intellectuelle pour les analyser. Mais je pressentais que notre hôte soulevait là un point crucial. Le sentiment de ne plus habiter le vaisseau terrestre avec la même grâce provenait d'une trépidation générale fondée sur l'accroissement. Il y avait eu trop de tout, soudain. Trop de production, trop de mouvement, trop d'énergies. Dans un cerveau, cela provoquait l'épilepsie. Dans l'Histoire, cela s'appelait la massification. Dans une société, cela menait à la crise.
Sylvain Tesson, Sur ler chemins noirs, folio.
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