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19 décembre 2012

20 Joseph Anton, héros malgré lui

Un beau matin (ou plutôt au milieu de la nuit, chez un ami, à Santiago du Chili), je me suis demandé si j’avais réussi ou raté ma vie. Voyez-vous ça ! Cette interrogation existentielle aussi pénible que soudaine (et sans doute salutaire), m’a permis d’écrire le roman goy dont je fais sans honte la publicité ici (et ailleurs). On n’est jamais mieux servi que par soi-même, il paraît. J’ai commencé par me dire (cette nuit-là au Chili) que j’avais raté ma vie, en comparaison avec celle de l’ami de quarante ans qui m’hébergeait, Flaco, et hop, 262 pages et quelques nuits blanches plus loin, j’ai fini par comprendre que non. À la même époque, une polémique débile sévissait sur les ondes, lancée par un sombre publicitaire (dont je tairai le nom par charité républicaine), qui prétendait que si on n’avait pas de Rollex au poignet à cinquante ans, cela signifiait qu’on avait raté sa vie. Aussitôt, les condescendants de gauche étaient montés au créneau pour s’indigner. Comment pouvait-on proférer de pareilles âneries en public et à une heure de grande écoute, qui plus est. Ce gars-là serait alors revenu sur ses propos jugés scandaleux. Je ne comprends pas pourquoi ce type n’aurait pas le droit de dire des conneries à la radio ou sur la télé. Yaka le laisser tranquillement se ridiculiser. En dehors du fait que, si tout le monde pouvait s’acheter le-dit objet ostentatoire, il perdrait ainsi sa fonction première (qui n’est certes pas d’indiquer l’heure), j’inclinerais plutôt à penser, au sujet de cette soi-disant polémique, que ceux qui éprouvent le besoin de porter cet énorme machin au poignet (un bijou de technologie rendez-vous compte) ont à coup sûr raté leur vie. Mais ceci n’engage que moi…

Mais pourquoi donc me suis-je laissé embarquer à raconter cette histoire ? Elle n’a apparement rien à voir avec mon propos d’aujourd’hui, contenu dans le titre de l’article. Encore une de ces disgressions dont mon cerveau a le secret ? Je suis toujours stupéfait devant les connexions qui se font dans ma boîte crânienne. Je doute que le câblage ait toute sa logique. Je reviens donc dare-dare à mon vrai sujet. Ah si ! J’entrevois parfaitement la raison à présent : c’était pour faire un peu de publicité à ce roman goy mis en souscription sur www.bibliocratie.com ! Souscrivez mes amies, souscrivez mes amis, et bibliocratie.com reconnaîtra les siens et vous enverra le roman. Je suis sûr que vous ne le regretterez pas. Vous y trouverez un exercice en live de réflexivité qui vous ragaillardit un homme ou une femme.

 

un roman goy

 

Mais revenons donc au titre de cet article. Il serait temps quand même.

La vie est comme ça. Certains humains cherchent inconsciemment à devenir des héros (en général quand ils sont jeunes), alors qu’ils ne sont que des aventuriers à la petite semaine, et puis d’autres, qui n’ont jamais pensé un seul instant embrasser cette profession, si je puis m’exprimer ainsi, le deviennent à leur corps défendant.

Tenez, pour prendre un exemple que je connais bien : quand j’étais petit, je vouais une admiration sans borne à mon père. C’est assez banal comme comportement, nous sommes d’accord. Je m’étais même consciemment/inconsciemment décidé à le surpasser, rien que pour lui plaire (je schématise – celles ou ceux qui sont interressé-e-s par tout le processus, n’ont qu’à souscrire à mon roman goy – sur bibliocratie.com, ils seront servis ! Ceci s’appelle du matraquage publicitaire où je n’y comprends rien.) Alors, mon inconscient sournois s’était persuadé que, comme la barre du père était placée plutôt haut, il fallait trouver quelque chose de fort, très fort, et c’est ainsi qu’il a décidé (mon inconscient) de se lancer dans la carrière de héros (pour les détails, vous savez maintenant où les trouver).

 

stakhanov

(Stakhanov)

Pour Salman Rushdie, puisque c’est de lui qu’il s’agit, c’est tout le contraire. Il se prenait pour un écrivain pépère à l’imagination colorée comme ses origines, couronné de prix et de succès, jusqu’au jour où un autocrate théocrate iranien barbu (oublions son nom) décida qu’il n’avait pas le droit d’écrire ce qui lui passait par la tête, et que pour l’en empêcher, il fallait le tuer. Pour ce faire, il a donc offert une prime au tueur présumé. Alors donc, Salman Rushdie raconte cette vie de condamné à mort en sursis sous le nom d’emprunt de Joseph Anton. Il le fait avec une précision d’horloger et une honnêteté remarquable, il faut le souligner. C’est peut-être pour s’aider à prendre du recul qu’il a décidé d’écrire ce récit autobiographique à la 3ème personne.  Cela m’a un peu troublé en commençant à le lire. Et puis, au fur et à mesure, je me suis habitué. Au début, et même pendant longtemps, le costume que lui avait taillé la fatwa était beaucoup trop grand pour lui. Il en était abasourdi. Il n’avait même pas attaqué la religion, comme tous ces religieux qui ne le lisaient pas le proclamaient en hurlant et surtout qu’il fallait lui trancher le cou.

P 13 Après coup, alors que le monde explosait autour de lui et que les merles de la mort s’assemblaient en masse sur le portique dans la cour de récréation, il regretta d’avoir oublié le nom de la journaliste de la BBC qui lui avait dit que son ancienne vie était désormais terminée et qu’une nouvelle existence, plus sombre, allait commencer. Elle lui avait téléphoné chez lui sans dire comment elle avait pu se procurer son numéro. « Quel effet cela fait-il, lui avait-elle demandé, d’apprendre que l’on vient d’être condamné à mort par l’Ayatollah Khomeiny ? » C’était par un beau mardi ensoleillé à Londres mais la question engloutit la lumière. Sa réponse lâchée sans réfléchir, fut : « Ce n’est pas agréable. » Le fond de sa pensée était : je suis un homme mort. Il se demanda combien il lui restait de jours à vivre et se dit qu’on pouvait probablement les compter sur les doigts de la main.Il raccrocha le téléphone, sortit de son bureau au dernier étage de la maison étroite d’Islington où il habitait et dévala l’escalier. Les fenêtres du salon avaient des volets en bois et, de manière absurde, il entreprit de les fermer en les bloquant, puis il verrouilla la porte d’entrée.

 En matière de héros, peut mieux faire. En son âme et conscience, en écrivant les versets sataniques, il avait tout simplement fait œuvre de réflexion sur la révélation. N’y connaissant rien personnellement, n’ayant pas lu le roman de surcroît, je me contenterai de livrer ici quelques commentaires sur le-dit roman, inclus dedans.

P 474 Mohamed Arkoun : je souhaite que les Versets sataniques soient mis à la portée de tous les musulmans pour qu’ils réfléchissent de façon moderne sur le statut cognitif de la Révélation. Rabah Belamri : l’affaire Rushdie a révélé de manière claire au monde entier que l’islam…ne saurait impunément se prêter à l’examen de la raison. Et Zhor Ben Chamsi : il faut savoir gré à Rushdie d’avoir ouvert les musulmans à l’imaginaire. Et Assia Djebar : ce roi en écriture…seul et nu. Il est le premier homme à vivre et puisque pour lui la vie est devenue essentiellement écrire, oui, le premier homme à écrire comme une femme de condition musulmane. Et Mohamed Harbi : avec Rushdie nous reconnaissons l’irrespect, le principe du plaisir, c'est-à-dire la liberté dans la culture et les arts, comme une source d’interrogations fructueuses sur notre passé et sur notre présent. Et Abdelwahab Meddeb : Rushdie, ce que vous avez écrit, personne ne l’a écrit…Au lieu de vous condamner au nom de l’islam, je vous félicite.

Et maintenant, revenons un peu en arrière pour voir comment Anton/Rushdie présente lui-même ce roman.

P 36 Le père avait transmis à son fils cette idée que l’histoire de la naissance de l’islam était fascinante parce que c’était un évènement qui s’était produit dans l’histoire, et que, de ce fait, il était manifestement influencé par les évènements, les contraintes et les idées de l’époque de sa création ; que considérer ce récit de manière historique, essayer de comprendre comment une grande idée était façonnée par ces forces, était la seule approche possible du sujet, (…) La révélation devait être interprétée comme un évènement subjectif, intérieur, pas comme une réalité objective, et un texte révélé demandait à être examiné comme n’importe quel autre texte en utilisant tous les outils de la critique, littéraire, historique, psychologique, linguistique et sociologique.

En écrivain passionné, Rushdie a écrit, c’est tout et c’est énorme, en plus d’être fascinant. Il s’est ensuite pris une dizaine d’années de prison pour ce forfait. Entouré de flics spéciaux anglais 24h/24h, il avait l’interdiction de sortir sans accord préalable des hauts responsables, même pour faire ses courses. Ces messieurs décrétaient, quand la permission était accordée, quelles étaient les précautions à prendre. Les pays occidentaux, en principe, défendent la liberté d’expression, c’est une de leurs valeurs de base, historique, essentielle, incontournable. Pourtant, nombre d’hommes politiques anglais (et autres) pestaient contre cette espèce d’olibrius d’origine étrangère qu’il fallait protéger. Ça coûtait beaucoup de sous (aux contribuables), les empêchaient de commercer tranquillement avec l’Iran et leur faisait perdre des votes conservateurs et musulmans. La presse de droite se déchaînait contre cet écrivain médiocre et arrogant qu’il conviendrait plutôt d’abandonner à ceux qu’il avait offensés. C’est halucinant tout au long du livre. Il y avait heureusement pour s’opposer à eux, ceux qui défendaient coûte que coûte la liberté d’expression comme valeur fondamentale de la vie et de la démocratie.

P 178 …une pleine page de publicité fut publiée dans le New York Times, financée par l’association des éditeurs américains, l’association des libraires américains et l’association des bibliothécaires américains. Elle disait : « les hommes libres écrivent des livres. Les hommes libres publient des livres. Les hommes libres vendent des livres. Les hommes libres achètent des livres. Les hommes libres lisent des livres. Dans l’esprit de l’engagement des États-Unis en faveur de la liberté d’expression, nous informons le public que les lecteurs pourront trouver ce livre dans les librairies et les bibliothèques de tout le pays. » (…) P 179 Pendant que se déroulaient tous ces évènements et bien d’autres choses encore, l’auteur des Versets sataniques se cachait derrière une table de cuisine pour ne pas être vu par un berger.

Ce qui est vraiment fascinant dans ce récit de tous les jours, c’est de voir comment Salman Rushdie évolue face à ces évènements qui le dépassent, comment, petit à petit, il abandonne le comportement d’un homme écrasé par la peur pour endosser les habits du type qui est devenu malgré lui le fer de lance de la lutte pour la liberté d’expression et la liberté tout court. Nous sommes tous concernés. Chapeau ! Monsieur Rushdie.

P 479  Son plus gros problème, pensait-il dans les moments d’amertume profonde, c’était de ne pas être mort. S’il était mort, personne en Angleterre n’aurait plus à ergoter sur le coût de sa protection ou à se demander s’il méritait ou non d’en bénéficier si longtemps. Il n’aurait plus à se battre pour avoir le droit de prendre l’avion ni à affronter des gradés de la police pour obtenir de minuscules améliorations de sa liberté personnelle. Il n’aurait plus à s’inquiéter pour la sécurité de sa mère, de ses sœurs, de son fils. Il n’aurait plus besoin de parler avec aucun homme politique (gros avantage). Son exil loin de l’Inde ne le ferait plus souffrir. Et la tension se relâcherait enfin. Il devrait être mort mais manifestement il ne l’avait pas compris. C’était le gros titre que tout le monde avait préparé, en attendant de s’en servir. Sa nécrologie était déjà écrite. Le personnage d’une tragédie ou même d’une farce tragique n’était pas supposé réécrire le scénario. Et cependant, il insistait pour vivre, et, plus encore, pour parler, défendre son cas, persuadé qu’il n’était pas le bourreau mais la victime, défendant son œuvre et même, pouvait-on croire à une telle audace, tenant absolument à retrouver sa vie, pied à pied, un pas après l’autre aussi douloureux soient-ils. « Qu’est-ce qui est blonde, a de gros seins et vit en Tasmanie ? Salman Rushdie ! » La blague faisait fureur…mais monsieur Joseph Anton voulait redevenir Salman Rushdie, franchement, quel manque de retenue. Il n’avait pour lui ni la satisfaction du succès, ni même celle de plaisirs les plus modestes. Mort, peut-être aurait-il eu droit au respect dû à un martyr de la liberté d’expression. Vivant, il n’était qu’un casse-pieds ennuyeux et décidément encombrant.

Salman Rushdie, Joseph Anton, une autobiographie, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, Plon

 

joseph anton

Au fait, saviez-vous pourquoi Rushdie s’appelle ainsi ? Il raconte que le nom de sa famille était trop long et pas assez moderne aux yeux de son père, avocat d’affaire indien et musulman (non pratiquant). Celui-ci le transforma à partir de celui d’ibn Roshd. Vous voyez qui c'est ? Le savant que les latins appellent Averroès !      

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