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11 février 2015

124 Charlie, une suite (3)

 

Quand j’étais petit, il n’y a pas si longtemps (!), les curés me parlaient du paradis (et surtout de l’enfer). J’y ai cru peu de temps car dans leur paradis, comme dans leur quotidien, la femme n’avait pas sa place (elle était le diable). Moi, au contraire, j’ai cru en la femme très jeune, avec Aragon. Elle devint mon icône, mon avenir. Quand j’ai découvert les dessins de Wolinski un peu plus tard, j’entrai au paradis avec les anges. Il faut dire que c’était l’époque de la « parenthèse enchantée », juste après l’invention de la contraception et avant l’apparition du Sida. On s’en donnait à cœur joie si tant est que ce soit l’organe concerné.

 

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Aujourd’hui, tout a changé. La parenthèse s’est refermée comme la capote sur le sexe. Les curés tiennent chacun plusieurs paroisses en même temps et font se succéder les offices toutes les heures dans leurs églises disséminées (quand ils ne manifestent pas contre le mariage pour tous). Les femmes ne vont plus voilées à l’office dominical. Une religion concurrente s’est invitée via la colonisation. On croise des femmes voilées dans la rue. Et les caricatures de Charlie ne me font plus rire. Allez, pour vous faire plaisir, une de temps en temps. Les soi-disant caricatures sur le Prophète, je les trouve grotesques.

 

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Je ne sais plus pourquoi je vous parle de tout cela. L’idée m’est subitement venue du recueil de nouvelles que je suis en train de lire mais je ne vois plus le rapport. Ou peut-être bien que si, même si je n’en suis plus si sûr, mes idées sont volatiles, mon cerveau me fait des farces, voilà, il traîne dans toutes ces nouvelles la certitude de la connerie humaine (la mienne incluse). Elle est tellement énorme et universelle que tout devient vain, il faut tromper le vide et l’ennui atteint un tel niveau d’absurdité que les plus belles valeurs ne veulent plus rien dire. Elles ne valent rien dans un monde où tout s’achète et tout se vend. Il n’y a que des variétés de la mort. Voilà où je voulais en venir. Et cela vaut pour tout le monde, même si ces nouvelles se passent en Corse puisqu’il s’agit de Jérôme Ferrari. Le nihilisme guette, il est tapi en chacun de nous, il revient à la charge comme un sanglier obtus. Le viol, la violence, l’abrutissement, le nationalisme grotesque, l’identité foireuse, le racisme normalisé, et « baiser les filles, pas tellement parce que c’est agréable, mais parce que c’est un motif de compétition » et qu’au mois d’août, en Corse, il y en a légions.

Il était donc facile et peut-être inévitable que je songe à rentrer en Corse. L’université de Corse m’accueillit à bras ouverts et je commençai mes cours sous un froid soleil d’octobre qui me parut, tant mon désir envahissait le monde, lui aussi, accueillant et amical. Les dernières brumes du déréisme ne mirent pourtant qu’un mois à se dissiper et je ne parvins plus du tout à échapper à la superbe indifférence des choses. Je trouvai en Corse tant de gens qui me ressemblaient que j’en eu la nausée : absents depuis des décennies, dérivant sur leurs propres orbites aléatoires, si incapables de se supporter qu’il leur fallait à tout prix savoir ce qu’ils étaient, qu’il leur fallait être quelque chose, ils s’étaient soudain imaginé qu’ils avaient une patrie  et ils étaient revenus, tout comme moi, bercés par la symphonie lyrique de leurs illusions. Certains étaient pour ainsi dire le paradigme de l’illusion – parlant corse avec un accent épouvantable et une application vouée à l’échec, tentant le pari de la convivialité ethnique sans même parvenir à déchiffrer dans le sourire des autres le jugement sans appel qu’on portait sur eux : paumés en quête de sens ! D’autres ne tentaient plus rien parce qu’ils avaient compris que c’étaient précisément ce qu’ils étaient, des paumés en quête de sens, et la seule chose dont je puis tirer une gloire relative, c’est de m’être rendu compte de ça tout seul. Je songeai que certainement, en Israël, des dizaines de tordus du même genre avaient fait le voyage en fantasmant sur leur judéité et qu’ils devaient avoir du mal à comprendre pourquoi tout ne se passait pas comme ils l’avaient rêvé.

Jérôme Ferrari, Variétés de la mort, nouvelles, Babel 

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