Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lire sa vie
lire sa vie
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 36 368
29 novembre 2012

17 La révolte des livres oubliés

(petit rappel : le 12 décembre approche à grands pas…ne le ratez pas - ici - vous ne vous le pardonneriez pas !)

Je devrais faire attention à ce que j’écris. C’est ce que je me dis. Vous êtes sans doute de mon avis. Passe encore que je raconte n’importe quoi sur moi, ça me regarde après tout, personne ne va venir se plaindre pour me défendre. On peut aussi s’imaginer que je ne fais qu’inventer. Je ne serais ainsi qu’un affabulateur-né. Un écrivain en quelque sorte. Rien qu’en l’écrivant, j’éprouve du plaisir.

Alors ? De quoi s’agit-il ? Arrêtons de tourner autour du pot. Droit au but.

Figurez-vous que pas plus tard qu’il n’y a pas très longtemps, j’étais arcbouté comme de coutume au-dessus du clavier de mon ordinateur, face à mon mur blanc, quand j’entends soudain comme un remue-ménage derrière moi. Je dois vous dire, chères amies et amis aussi chers, que derrière moi, si vous ne le saviez pas, se trouve à une distance d’à peine trois mètres, ma petite (et néanmoins chère) bibliothèque. Quoi ! Des remous dans ma bibliothèque ? Comment ? Ça s’agite dans les rangs ? Keskispass ? Je perçois des murmures, de timides écarts de voix, des chuchotements desquels ressortent des syllabes indignées ; je dresse l’oreille tout en faisant semblant de continuer à tapoter sur mon clavier ; ooouuuiii (trémolos dans la petite voix, mais oui, on dirait une voix de femme – on dirait même celle de Marie Darieussecq, du haut de son Truisme si ça se trouve), c’est pas normal ce qu’il a écrit (de qui parle-t-elle donc ? serait-ce de moi ?), qu’il peut pas se souvenir de tout ce qu’il a acheté, qu’il se souvient même pas s’il nous a lu, (une grosse voix d’homme lui fait écho – on dirait l’accent toulousain – sûrement Dubois, ça se pourrait bien) c’est déplaisant à la fin, pourquoi il nous garde alors, il a qu’à nous donner à quelqu’un qui a envie de nous lire, (un léger accent sonnant francophonie maintenant – C’est Yasmina Khadra, je prends les paris) il a rien compris il s’imagine que s’il a pas gardé de traces d’une lecture dans sa mémoire, c’est que la lecture a été insipide, il a pas compris que les nourritures ingurgitées se diffusent en lui, (finalement, je les reconnais bien tous, je ne vous ai pas du tout oublié mes petit-e-s ami-e-s, c’est au tour de Lydie Salvayre à présent, un peu plus solennelle) et le plaisir pendant la lecture, n’est-ce pas ? qu’en fait-il, du plaisir instantané, c’est le principal, vous ne croyez pas ? C’est comme un paysage dans lequel on s’est trouvé bien, un bon plat qu’on a dégusté, hein, on a pas besoin de s’en souvenir, ça nous a donné de la joie et celle-ci s’est mêlée à ce que nous sommes  poursuit Virginie Despentes. Nous évoluons en même temps. Et puis une voix que je ne reconnais pas, une voix inconnue donc qui lance  Y pas que courir après le dernier livre dont on cause dans les salons pour en causer encore mieux dans le sien qui compte, et vous savez le sermon sur Rome.., la chute ?, comment ?, le sermon sur la chute de Rome, ah bon, d’accord, eh bien ce fameux sermon de maserati.., ferrari ?, ah bon ? Vous êtes sûr ? Bon c’est pareil non, un Italien quoi, un Corse ? Ah bon, y savent écrire ? Je pensais qu’ils ne savaient que tirer (pfff, pfff) Faites pas attention, c’est Dubois qui se moque. Ça jacasse maintenant dans tous les coins. Ils n’ont plus aucune retenue. Il y a même une voix que je reconnais entre mille (maintenant) qui s’y mêle aussi. Une voix qui n’a pas l’air timide, qui se pose comme telle alors qu’au fond, elle manque de confiance en elle. Ne serait-ce pas la mienne ? Chacun y va de son bon mot, de sa plus belle phrase, celle d’entame, celle d’accroche. Ça reste des écrivains. Chacun veut montrer de quoi il est capable. Ils ne sont soi-disant pas en concurrence mais ils espèrent que leurs premières phrases vont mieux accrocher que celles de leurs concurrents.

Vous vous rendez-compte, mes potes, mes livres lisent mon blog ! Je n’en reviens pas. J’ai failli avoir honte. Je tends l’oreille tout en faisant semblant de me concentrer sur mon écriture. C’est Dubois finalement qui met un peu d’ordre dans la révolte. Avec son accent toulousaing, il en impose. La pagaille se transforme en joute écritoire.

Il ouvre le concours en lançant ses premières phrases :

Et ma mère tomba à genoux. Je n’avais jamais vu quelqu’un s’affaisser avec autant de soudaineté. Elle n’avait même pas eu le temps de raccrocher le téléphone. J’étais à l’autre bout du couloir, mais je pouvais percevoir chacun de ses sanglots et les tremblements qui parcouraient son corps. Ses mains sur son visage ressemblaient à un pansement dérisoire.  Jean-Paul Dubois, Une vie Française, Points

Vous avez remarqué ? Le bouquin commence par Et ! Incroyable, non ? Comme si en fait, il ne commençait pas, il ne faisait que continuer. Voici Darieussecq qui s’avance et éclaircit sa voix.

Je sais à quel point cette histoire pourra semer de trouble et d’angoisse, à quel point elle perturbera de gens.Je me doute que l’éditeur qui acceptera de prendre en charge ce manuscrit s’exposera à d’infinis ennuis. La prison ne lui sera sans doute pas épargnée, et je tiens à lui demander tout de suite pardon pour le dérangement. Mais il faut que j’écrive ce livre sans plus tarder, parce que si on me retrouve dans l’état où je suis maintenant, personne ne voudra ni m’écouter ni me croire.  Marie Darrieussecq, Truismes, P.O.L

Vous êtes prévenus. Si vous continuez, c’est à vos risques et périls. Il y en a un qui joue des coudes pour lire sa petite phrase d’accroche. Malgré son visage un peu rond et souriant, on dirait qu’il prend un air dramatique.

Si la rose savait que sa grâce et sa beauté la conduisent droit dans un vase, elle serait la première à se trancher la gorge avec sa propre épine, mais elle l’ignore, et c’est dans cette poche d’ombre qu’elle puise la sève de sa survivance. Yasmina Khadra, L’imposture des mots, Julliard

Il en a gros sur la patate celui-là. On sent qu’il va régler ses comptes avec son éditeur. Vous vous souvenez certainement de la misérable époque du Qui tue qui (en Algérie). C’est courageux. Et ça y va fort, très fort. Ça a failli lui coûter cher, très cher. Le centre n’aime rien moins que sa périphérie lui conteste sa vérité.

Au tour de Lydie Salvayre de s’avancer posément. Le silence se fait.

Puisque nous avons en commun, Monsieur, d’avoir été persécutés, vous par le grand Louis, les faux savants et les Jésuites, moi par ma mère, qui ne trouva jamais d’autre satisfaction que dans mon harcèlement ; puisque les méchants et les fanatiques sont allés jusqu’à nous exiler, vous à Egmond, moi à Moissy, vous enfermé dans un poêle, moi dans ma petite chambre ; puisque nous partageons vous et moi la même exécration des mascarades mondaines et ce même goût tranquille des déserts, des déserts sociaux je m’entends ; puisque ni l’un ni l’autre ne souffrons que quiconque s’avise de mordre sur nos retraites et s’en vienne piétiner nos inhumaines solitudes ; puisque nous avons tous deux fréquentés une prénommée Christine, la vôtre belle et de sang royal, la mienne rogue et ménagère ; puisqu’il n’est pas exagéré de dire que l’une comme l’autre voulurent notre mort et en quelque sorte l’obtinrent ; puisque nous considérons ensemble que l’air de Paris nous fut nocif à cause de l’aigreur qui y règne et du grand nombre de gens qui s’y épuisent en mensonges ; puisque vous avez affirmé que la raison était égale en tous les hommes d’où j’infère que la mienne égale la vôtre en largeur et pénétration ; puisque vous avez enfin (fort imprudemment) exhorté les hommes à secouer le joug de toutes les autorités pour ne plus reconnaître que celui de la Raison, je m’autorise ici à secouer le vôtre, et pour les motifs sus-indiqués qui nous font frères, je vous déclare fraternellement ceci : considérable, Monsieur, est votre tort, considérable vis-à-vis du monde, considérable vis-à-vis de moi. Lydie Salvayre, La méthode Mila, Seuil

Voilà une de ces entames comme je les aime. Difficile de ne pas lire la suite, cette lutte entre l’émotion et la raison. Mais voilà déjà deux écrivains passionnés qui se bousculent pour faire valoir leurs premières phrases :

Elle se dérègle. Ça ne va pas en s’arrangeant, ni même en stagnant. Elle était convaincue, d’expérience, qu’à chaque fois qu’elle s’approcherait trop près du bord, elle saurait faire pirouette arrière. Seulement, cette fois, elle ne contrôle plus rien, « sans les mains ». Tous les warnings clignotent en vain et elle sent les gens s’inquiéter, s’éloigner au fur et à mesure. Elle vient de s’engueuler avec son petit ami. Elle aurait pu le tuer. S’en est fallu d’un centimètre, d’une seconde. Flirt poussé avec le drame. Il aurait suffi qu’il soit un peu moins rapide, un peu moins agile, un peu moins fort qu’elle. Comme après chaque déflagration, elle est particulièrement calme, lucide, et honteuse.  Virginie Despentes, Bye Bye Blondie, Grasset

Le train roule, c’est la nuit, je fais l’amour avec Sophie sur la couchette et c’est bien elle. Les partenaires de mes rêves érotiques sont en général difficiles à identifier, elles sont plusieurs personnes à la fois sans avoir le visage d’aucune, mais cette fois non, je reconnais la voix de Sophie, ses mots, ses jambes ouvertes. Emmanuel Carrère, Un roman russe, folio

Et je ne peux que terminer par celui que je connais le mieux ou le moins mal, avec qui je partage tous les bons et mauvais moments, qui me pèse et aussi m’enchante souvent, ainsi va la vie.

Raconter cette histoire, c’est comme marcher sur des œufs, et sans le vouloir, je me suis laissé embarquer. Pierre Ferin, Tout en part, tout y revient, Publibook

PS : en réalité, Jean-Paul Dubois n’a pas une grosse voix, pas plus qu’il ne parle avec l’accent toulousaing même s’il est Toulousaing. Dont acte.

bye bye blondie

la methode mila

l'imposture des mots

tout en part tout y revient

truisme

un roman russe

une vie française

PS (2) Je me suis mis en excellente compagnie. Vous avez remarqué ? Vous ne pouvez pas savoir le bien que ça me fait !

Publicité
Commentaires
L
Je partage l'avis de nyme, j'ai beaucoup aimé les romans de Khadra, un écrivain dont le talent s'est imposé dans "la cour des grands"... Merci pour ces extraits.
Répondre
N
J'aime beaucoup ce dernier "numéro": son idée de départ, les extraits choisis...et le réel plaisir de l'auteur de s'inviter dans la "cour des grands"
Répondre
lire sa vie
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité