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15 février 2013

29 Vous avez dit modéré ? Mortderire !

Ça s’est passé dans l’émission d’Ardisson, ca fait déjà quelques années (je crois), l’épisode est resté gravé sur mon disque dur cérébral. Peut-être vous en souvenez-vous? Ou bien était-ce plutôt dans celle de Fogiel, ce qui de toute façon ici n’a aucune importance. Il y eut ce soir-là, invités en même temps, les compères Bédia Ramzy et Jamel Debbouze. Entre parenthèses, je les kiffe ces deux-là ! J’ai oublié quel était le thème de l’émission. Aucune importance. Les deux trublions, qui déliraient comme à leur habitude, peut-être même davantage parce qu’ils se stimulaient mutuellement (Éric en était tout ébahi), se sont mis brusquement à arpenter le plateau en brandissant le poing et en scandant de concert « Is-lam mo-dé-ré ! », « Is-lam mo-dé-ré !». Ils donnaient l’impression de se marrer comme des baleines (drôle d’expression). J’imagine qu’ils riaient de leur propre audace, de leur bonne blague, et surtout du fait qu’ils ne croyaient pas un instant à ce vœu pieu occidental.

Et bien les amies et les amis, j’étais loin d’imaginer à l’époque que nous allions revenir à bride abattue vers les problèmes de religions. Je pensais naïvement que nous nous en étions débarrassés.

 

zaz 2

 (je vous présente l'escalier qui élève ma pensée - il est photographié par Zaz la Bônoise)

Je n’évoque pas ici la pratique personnelle, la croyance privée de tout un chacun, je veux parler de l’aspect socio-politique des religions. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, autant je peux être attentif aux messages des religions, aux cultures qu’elles ont participé à créer, à ce qu’elles ont encore ( ?) à nous dire (j’en suis moins sûr, elles deviennent tellement rétrogrades), autant je me tiens à l’écart des religieux, je veux dire de tous ces prosélytes qui croient que le monde entier les attend avec leur dogme tronqué comme une pensée simpliste. Vous savez, ces gens qui appliquent le principe de Lagardère, je ne sais si vous le connaissez, il s’exprime de la manière suivante : si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira-t-à toi !  (Ah!Ah!)

 

indien et nature

(ceci est mon corps, ce paysage est ma chair, voici ma spiritualité)

Depuis lors, je vois monter avec une horreur grandissante, les grandes marées fondamentalistes qui cherchent à nous submerger. Ces puissances idéologiques, je parle du Qatar avec sa télé Al Jazeera, de l’Arabie Saoudite et son idéologie du wahabisme, et aussi bien sûr du Vatican (et de ses produits dérivés), travaillent les sociétés au corps et nous cernent. Nous sommes cernés. Elles ne nous lâchent pas d’une semelle. Plus elles sont rétrogrades, moins elles nous lâchent, on dirait. Elles ont en commun de faire dire à Dieu ce que ces hommes de pouvoir veulent faire passer pour asseoir leur pouvoir. Elles ont en commun de mépriser la femme et d’oeuvrer pour une société dirigée par les hommes où la femme compte pour trois fois rien. Juste un utérus pourvu d’un vagin pour y accéder.

Quand j’ai posé la question à Ahmed (mon ami Algérien), pas plus tard qu’il n’y a pas si longtemps, lors de notre dernier déjeuner commun au restaurant, je croyais le faire sourire avec mon « islam modéré ». Pas du tout, ça fait belle lurette qu’il ne sourit plus de ces choses-là. Il m’a dit :

-J’y crois pas, mon vieux !

-Pourquoi t’y crois pas ? Comme avec l’Église ! Elle respecte la démocratie.

-Et pourquoi tu crois que l’Église respecte la démocratie ? Je te réponds. Parce qu’elle est o-bli-gée, mon vieux. Parce que la majorité des gens le veut. Sinon, ils la respecteraient pas ! Pourquoi voudrais-tu qu’ils respectent la démocratie alors qu’ils détiennent la vérité universelle ? Il faut une majorité pour les obliger à respecter la démocratie et l’état de droit. Tu l’as entendu l’autre soir à la télé, le cardinal Philippe Barbarin, avec son sourire évangélique, nous dire benoîtement que Dieu (le sien, pas celui du Qatar) passerait par eux (les cardinaux), et par voie de conséquence aussi par lui, pour choisir un nouveau pape. Il en frémissait de plaisir le bonhomme. Pensez-donc, pouvoir expliquer cela en prime time, sur le journal de la Deux, qui nous raconta la démission du pape pendant une demi-heure !  

-Oui, je pense que tu as raison.

-Regarde en Tunisie ! Ils viennent d’assassiner un leader laïc important, Chokry Belaïd. Comme en Algérie au début de l’islamisme.  Ils commencent avec les mécréants (les communistes, les pires pour eux), puis suivront les intellectuels occidentalisés ! C’est une guerre, mon vieux ! Ils voient çà comme une vraie guerre. Si tu cherches la modération, tu ne la trouveras pas chez eux. Et avec Al Jazeera, ils ont leur cheval de Troie. Au-début, au Maghreb, on la regardait tous. Maintenant, tout le monde s’en méfie, sauf les islamistes. Modéré ne fait pas partie de l’ADN des religions.

Même que cette fois-là, nous étions trois, avec Paul qui s'était joint à nous, Paul qui se cherche et se trouve quelque part entre catholicisme et bouddhisme, et même qu’il nous disait le pacifisme du bouddhisme, alors je n'ai pas manqué de lui rappeler cette vidéo montrant des dizaines de moines bouddhistes en pleine bataille rangée à coups de chaises sur la tête, pour la possession d’un temple, et nous riions ensemble, histoire de jouir de notre amitié, avant de se terrifier chacun de son côté.

 

007

(vivre dans la beauté des choses, me dis-je alors)

 

 Tout cela me ramène à un roman que je viens de finir. Je ne tenais pas tellement à vous en parler, mais finalement, il arrive comme un éclairage de ces débats. L’auteur, Mathias Énard, est docteur au CNRS. Excusez du peu. Ça ne suffit plus pour gagner correctement sa vie. Cet écrivain donc vit à Barcelona où il enseigne l’arabe à l’université autonome. Il vient de sortir un nouveau roman (rue des Voleurs) qui, en quelque sorte montre ce que pourrait être la tronche d’un islam modéré. Comme il connaît bien le sujet, il l’explique à son public occidental. On dirait un cours illustré. La fausse lutte entre son héros musulman modéré et son copain fondamentaliste. Je dis fausse parce qu’il n’y a au bout du compte pas d’échanges, aucune interaction entre ces deux soi-disant amis, il n’y a que deux chemins qui se séparent inexorablement. Tout ça finit à Barcelone, rue des voleurs justement. Énard surfe sur ses connaissances de l’arabe et de la culture arabe, sur le printemps arabe, sur l’attrait de l’occident et de sa liberté, sur la place des femmes dans la société et aussi sur Barcelona qu’il semble connaître comme sa poche. Pour ceux que ça intéresse et qui n’y connaissent rien sur ces sujets…ça vaut le coup, ça se lit facilement, c’est bien écrit, bien mené, avec beaucoup de temps de respiration.

Chaque jour de nouveaux cadavres fleurissaient quelque part, une banque s’effondrait, un cataclysme emportait un lambeau de plus de ce monde en ruine, ou peut-être est-ce moi qui, aujourd’hui, suis tenté de relire ces évènements à la lumière de la suite ; de penser que le pire était à venir,que le pire est venu – tout dansait devant mes yeux, Judit à l’hôpital, Bassam à la mosquée Tareq Ibn Zyad, Meryem dans la tombe, le monde réclamait quelque chose, un mouvement, un changement,un pas de plus vers le Destin ; je pressentais qu’il allait bientôt falloir choisir son camp, qu’un jour ou l’autre il faut choisir son camp, qu’il n’appartenait qu’à moi de me révolter, d’avoir une seule fois une seule un geste, un vrai geste décisif, et bien sûr il est aisé de penser à cela aujourd’hui, depuis ma bibliothèque carcérale, entouré par toute la certitude des livres, de centaines de textes, par la force de mes lectures, car l’homme d’hier a disparu ; le Lakhdar de la rue des Voleurs a disparu, il s’est transformé, il cherche à rendre leur sens perdu à ses actes ; il réfléchit, je réfléchis, mais je tourne en rond dans ma prison car je ne pourrai jamais retrouver celui que j’étais avant, l’amant de Meryem, le fils de ma mère, l’enfant de Tanger, l’ami de Bassam ; la vie a passé depuis, Dieu a déserté, la conscience a fait son chemin, et avec elle l’identité – je suis ce que j’ai lu, je suis ce que j’ai vu, j’ai en moi autant d’arabe que d’espagnol et de français, je me suis multiplié dans ces miroirs jusqu’à me perdre ou me construire, image fragile, image en mouvement.

Mathias Énard, Rue des Voleurs, Actes Sud

« Je suis ce que j’ai lu » ! écrit-il, mes amies et mes amis…ça ne vous rappelle rien ?

rue des voleurs

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