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21 mars 2013

34 Mortel oubli !

M’en allant promener samedi dernier, me suis retrouvé devant ma librairie préférée. Dès que j’y suis entré, ça n’a pas traîné, mon petit doigt m’a dit, c’est celui-là et pas un autre, c’est décidé. Mes mains traînaient encore au fond des poches alors qu’il avait déjà le nez dessus. N’ayant aucune raison particulière de le contredire, ma raison-raisonnable n’ayant elle-même aucun livre ni auteur en tête, j’ai donc maté le titre, pfff, et puis le nom de l’auteur : inconnu à mon bataillon. L’affaire s’annonçait plutôt délicate. Ma main s’est lentement extirpée de sa niche puis, d’un geste élégant nonchalant tout en arabesque, a retourné le bouquin pour rencarder son esprit sur le sujet. Que racontait la 4ème de couverture ? Qu’est-ce à dire ? Une maladie ! À faire fuir le plus intrépide des lecteurs. Et je ne suis pas celui-là. Ce coup-ci, me suis dis, il s’est fourré le petit doigt dans l’œil. Ma raison-raisonnable rigolait sous cape. Suis revenu vers le titre de l’ouvrage : histoire de l’oubli. Pour un roman, quel joli titre ! Il n’y a pas à dire.

cavalic3a8re-flou-artistique

Mais dans ma religion, on ne discute pas les préconisations de mon petit doigt. C’est comme ça et pas autrement. Une croyance, c’est juste fait pour croire. Et puis, un livre de poche, ce n’est quand même pas cher. Surtout pour un roman. Et puis aussi, étant moi-même fils du néant, je puis facilement me fondre dans l’oubli. Car enfin, quel est donc ce monde tel que nous le connaissons, hein ? Une créativité sans limite, réponds-je du tac au tac à ma question. Une créativité vouée à illuminer l’espace le temps d’un instant, pour s’éteindre l’instant d’après, aussitôt engloutie dans l’oubli, la grande fosse commune où finit par s’entasser toute la créativité. Tel est le soubassement de notre connaissance, de notre lien indéfectible au monde.  La créativité est bien la seule manière d’exister à nos propres yeux et à ceux de l’humanité.

Zaz 7

L’oubli aurait donc son histoire s’il faut en croire ce romancier. C’est bien son droit d’essayer qu’on ne l’oublie pas, à la fois l’oubli et le romancier. Il y a toute sorte d’oublis (comme il y a toute sorte de romanciers) : l’oubli des sentiments par habitude de vivre ensemble ; l’oubli de la vie quand on s’enfonce dans la médiocrité ; le refus de considérer ce qui nous fait mal en tentant de l’oublier, et toutes les autres façons qu’il vous plaira de répertorier.

Ainsi l’oubli rendrait toute chose vaine. Car ne s’échappe de l’oubli que le moment présent, le seul moment qui existe réellement. Les autres ne sont que le fruit de notre imagination ou de celles des autres. À ce seul moment existant, le moment présent, succède l’oubli des moments passés chassés par la succession sans fin des moments présents. La vraie difficulté est qu’on ne peut pas revivre tous ces moments ex-présents. On peut cependant les relire, les lire, quelqu’un d’autre peut les lire, les relire, et ainsi l’oubli ne peut étendre son empire sur toutes les choses.

Denfert

Je ne me souviens pas de ce que j’ai mangé hier ou avant-hier alors que les fibres ingurgitées participent de mon énergie. Des cellules s’en souviennent. Contre l’oubli, il y aurait donc les mémoires. Mais la mémoire individuelle est faillible et susceptible de contracter des maladies. Elle est aussi capable d’inventer de purs mensonges autour de fragments de vérité. Quant à la mémoire collective, elle reste imprécise.

Une trentaine d’années après que le mot Alzheimer fut entré dans le langage courant, cette maladie fait l’objet de recherches intensives alors qu’il est légitime de se demander si la science avance vraiment contre ce fléau vieux comme l’humanité.

Autant cette maladie est effrayante, autant la façon de l’aborder de l’auteur est subtile et formidable. Quel beau paradoxe.

Si tu commences à désespérer de jamais arriver à Isidora, il te faudra trouver un moyen de reprendre courage. De retrouver la foi. Ta foi en Isidora et la distance qui t’en sépare sont une seule et même chose. Trouver Isidora, c’est comme beaucoup d’autres choses : le but et la façon de l’atteindre sont tels des frères siamois, le sang de l’un irrigue le cœur de l’autre. Pour atteindre Isidora, il faut seulement croire qu’on y parviendra. Mais si, devenu vieux, tu cessais d’y croire, si tu décidais que tu as assez attendu, si tu commençais à énumérer les obstacles, si, déçu, tu rebroussais chemin, si, à la fin de ta vie, tu te comptais parmi les cyniques, promets-moi que tu garderas ton pessimisme pour toi. Promets-moi que tu ne seras pas égoïste au point de croire que l’idée d’Isidora n’appartient qu’à toi seul. Bien au contraire, il te faudra en parler aux autres, à tes enfants. Leur parler de ta quête, dire que tu touchais au but au moment où tu as renoncé, qu’avec un autre bidon d’eau, un autre sac de vivres, tu y serais peut-être arrivé. La vérité c’est que l’idée d’Isidora a toujours été aussi importante qu’Isidora elle-même. Isidora est la lumière qui passe par la fenêtre.

Stefan Merill Block, Histoire de l’oubli, Albin Michel, traduit de l’américain par Valérie Malfoy.

Stefan Merill Block a écrit ce roman à 26 ans !

histoire de l'oubli

(existe aussi en collection de poche)

 

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Commentaires
M
Qu'est ce qui a attiré ton petit doigt, à défaut de ton oeil..... l'arbre ramifié comme des neurones ou l'échelle ????
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