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16 mai 2013

42 J'aime pas la boxe !

J’aime pas trop la boxe. Mon sport, quand j’étais ado, c’était plutôt le hockey, attention, pas sur glace, non, sur gazon. Évidemment, c’est pas facile d’y jouer dans son salon. Il y a bien le hockey en salle, mais quand même, c’est pas pratique. Le Chinois et son ami Ballot, le narrateur (qui se prend aussi pour le roi), deux ados, eux, ils s’affrontaient une fois par an dans leur salon devant toute la famille et les voisins qui s’enfournaient des petits fours pendant qu’ils se tapaient dessus.

boxe 2

 C’était sous Franco et c’était un vrai combat de petits chef, avec ring, monté pour l’occasion au milieu du salon, habits de circonstance, bleu et rouge pour l’un et rouge et bleu pour l’autre, et entraineur, le même pour les deux, don Rodolfo qu’il s’appelle même. J’ai jamais aimé Franco. Pour être sincère, je devrais plutôt dire que je l’ai toujours exécré. Je préférais de loin les Républicains, mais ils avaient déjà perdu la guerre depuis longtemps quand je les ai aimés, ils avaient déjà perdu alors que j’étais même pas né. Et puis, je savais pas vraiment qui, chez les Républicains, je devais aimer, entre les Anarchistes, les Staliniens ou les Trotskystes (poum poum pidou). Ils se tapaient dessus presque autant qu’ils tapaient sur les Franquistes. Ay Carmela !

nopasaran

(ils ne sont pas passés)

En fait, je devais sans doute aimer les perdants, comme si j’avais moi-même une âme de perdant. (Pauvre petite chose égarée). Aujourd’hui, que j’ai perdu mon âme de perdant aussi sûrement que ma jeunesse, c’est sans doute pour ça que j’aime pas trop Mélenchon. En vérité, j’aime plus trop les extrêmes.

Entre le Chinois et le narrateur, c’est pas pareil, ils sont amis, cousins éloignés même, mais quand il faut se taper dessus, ils hésitent pas une seconde, même si le sang coule, et le sang coule des fois. Et puis, un jour, dans ce petit monde franquisto-macho, apparaît une fille, même qu’elle s’appelle Elke, même qu’elle est pas du tout espagnole, avec un prénom pareil on l’aurait deviné, c’est une orpheline de guerre allemande, adoptée par un oncle et une tante des deux cousins, puisque l’Espagne franquiste et l’Allemagne nazie étaient des alliés, il ne faudrait pas l’oublier. L’accueil que lui font les deux cousins est contrasté. Le Chinois est d’entrée béat, du même bois que moi, à toujours mettre une nana sur un piédestal, Ballot lui, qu’est tout sauf ballot, est plutôt du genre, du moins avant de la connaître vraiment, à reproduire la détestation de la femme, le mépris ou la haine, c’est selon. Il va quand même évoluer sous l’effet des évènements. Elke s’en fout ! Elle veut grimper sur l’Éverest avec ses deux gars. Et justement, ce sommet de la terre se trouve pile poil au-dessus d’eux, c’est le toit de leur immeuble comme toit du monde. Alors les garçons, eh ben, ils ont très peur pour elle, tellement peur qu’ils auraient préféré qu’elle reste en bas au camp de base, la vraie place d’une femme, à leur préparer à bouffer, à s’occuper de l’intendance pendant qu’eux ils jouent aux héros à la conquête du plus haut sommet de leur monde. Elke ne l’entend pas du tout de cette oreille. Nos jeunes héros se transforment en zéros, avec pas mal de dégâts sur le toit. On voit ici que les enfants, surtout quand ils commencent à être ados et un peu idiots, sont tous pareils, qu’ils vivent sous une dictature franquiste ou une démocratie somnolente, je veux dire que moi aussi, je suis monté sur des toits, moi aussi j’y ai même cassé des tuiles sans le faire exprès, sauf que j’étais monté volontairement sur le toit du nouveau couvent des jésuites pour voir le bout du monde, mais moi, j’ai pas été grondé par une grand-mère amiral en chef du vaisseau familial, mais juste par un jésuite, quand même directeur, qui m’a fait asseoir sur ses genoux pour me faire la morale. Choisissez qui vous voulez pour vous faire gronder.

Everest_North_Face_toward_Base_Camp_Tibet_Luca_Galuzzi_200611

(je vois pas le camp de base)

En parlant de morale, justement, sous Franco, c’était pas drôle du tout. Fallait pas s’embrasser comme ça si c’était pas sérieux. Et sérieux voulait dire le mariage à la clé entre sexe opposé, s’il était besoin de l’écrire. Et c’était bien les femmes qui s’y collaient au contrôle de la bonne moralité. C’est comme qui dirait toujours les femmes qui occupent les carrefours des choses importantes. Une façon de représenter l’éternel féminin. Et tout ce petit monde revit grâce à plume de Ballot qui ne l’a pas dans sa poche.

Quand la chaleur est arrivée, ils sont arrivés aussi, dans leur nid, les vaillants martinets, je sais pas si c’étaient les mêmes ou leurs petits. On était tous les trois sur la terrasse, Elke, le Chinois et moi, quand ils sont entrés à toute allure, l’un derrière l’autre. On était allongés sur le dos, pour voir si on pouvait rester immobiles, et retenir notre respiration une fois sur deux en essayant de penser à rien – la pire des choses dans la vie d’un fakir, du moins à mes yeux. C’était une expérience qu’on faisait tous les après-midis, depuis deux semaines, pour voir lequel des trois était capable de léviter le premier, ne serait-ce que d’un centimètre, sans effleurer le sol, pas même avec un doigt. Elke l’avait  lu dans un livre allemand, et elle nous l’avait traduit d’une traite, avec une telle émotion qu’on comprenait presque mieux l’allemand que l’espagnol – et en plus en accélérant, bien qu’aucun de nous ne soit pressé… ! C’est pas qu’on la comprenait pas. Le Chinois et moi, on la comprenait parfaitement. Ce qui nous frappait le plus, le Chinois et moi, n’avait aucun rapport avec la comprendre ou pas la comprendre, ça avait un rapport avec le fait qu’elle continuait à paraître arrivée d’aussi fraîche date que le premier jour, car elle parlait encore plus mal qu’au début. Et ça, je l’ai dit au Chinois, mais il l’a pas bien compris car il a répondu ni oui ni non, bien qu’il m’ait clairement entendu. J‘ai dit : « Maintenant, Elke a l’air d’avoir vécu ici toute sa vie, mais tu trouves pas qu’elle a l’air plus étrangère que le jour de son arrivée ? » Le Chinois a pas répondu et j’ai laissé courir au lieu de répéter toute la phrase, car, moi le premier, alors que je la disais, elle me choquait.

Alvaro Pombo, apparition de l’éternel féminin (racontée par sa majesté le roi), traduit de l’espagnol par Nelly Lhermillier, Christian Bourgois éditeur.

apparition-eternel-feminin

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