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20 juin 2013

47 L'aventure, c'est l'aventure !

 

Heureux qui comme mon voisin est né au pied de son pommier. Il y sera enterré. Pour un montagnard, ce sera au pied de son sapin, pour un Corse, au pied de son châtaignier et pour un petit gars du sud, au pied de son platane. Voilà bien une phrase que je n’ai jamais prononcée ! Être enterré, d’ailleurs, ne m’a jamais convenu. Tant qu’à mourir, je préfère me disperser au gré des vents dans un paysage sans arbres, plutôt sec et rocailleux. Sentir le vent doux éparpiller mes particules élémentaires au milieu des vignes face à la mer (bleue) sera ma dernière volupté.

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Je n’ai jamais prononcé cette phrase car je suis un aventurier invétéré. J’ai quitté mon arbre au pied duquel j’étais né pour faire à pied le job d’aventurier. En réalité, j’avais d’abord décidé d’être un héros, mais étant né juste après la guerre, c’était fichu pour la Résistance. Et voilà ! Né trop tard d’un malencontreux hasard, il ne me resta plus d’autre choix que d’embrasser la carrière d’aventurier. Je n’aurais en aucun cas supporté rester auprès de mon arbre pour en faire chaque jour de ma vie cent fois le tour sans me poser d’autre question. Comme dit un de mes rares amis, planté lui depuis son premier jour et jusqu’à son dernier souffle, à côté de son pommier : tu aimes bien te tordre l’esprit. Il a même l’air de me plaindre me disant cela. Mais je ne suis pas à plaindre. C’est plus fort que moi. J’ai juste un déficit-né de reconnaissance. Je me tords donc l’esprit pour attirer vers moi les feux de la rampe. Mais c’est raté de chez raté, de toute ma vie, raté, je vous le dis en toute simplicité. Depuis le début, car d’aventure en aventure, le petit coco s’est fait rattraper par la patrouille de la répression du vice (capitaliste) et du rétablissement de la vertu (moralisatriste). Alors là, mes chères amies et mes rares amis, que se cache-t-il sous ces oripeaux peu ragoûtants ? Comme toujours, la haine de soi, plus ou moins forte, capable de se transformer en feu incontrolé quand elle est attisée par le sentiment de culpabilité. Et, comme je suis tombé dans la marmite de ce sentiment tout petit, ce fut et ne pouvait être qu’un désastre ! Le type que je suis s’est donc longtemps pris pour un raté. Il va un peu mieux aujourd’hui, tout se soigne, on peut revenir de tout, mais vous savez, c’est comme un cancer guéri, c’est toujours susceptible de resurgir.

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Le héros du livre que j’achève de lire est un aventurier désastreux et toujours en vie, on se demande parfois par quel miracle, car il est prêt à tout pour se faire connaître, y compris faire la guerre. Le but de sa vie est de laisser une trace indélébile dans ce monde débile. Et c’est tellement bien raconté qu’on a du mal à lui jeter la pierre. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il lui jeter la pierre ? Je dirais même plus qu’au lieu de cela, je n’ai pas arrêté de m’identifier. J’ai enfin compris que moi aussi j’étais un aventurier, de moindre envergure c’est sûr, mais aventurier quand même, non mais ! Et là, ce que je trouve formidable et rageant à la fois, c’est que je peux (pour le même prix) m’identifier doublement, avec le héros du livre comme je viens de l’écrire, mais aussi avec l’auteur qui n’hésite jamais à se mouiller personnellement. Ce salaud (l’auteur) va jusqu’à croiser plusieurs fois son héros. Il connaît bien en plus le pays d’où il vient. Il se permet de se poser des questions à son propos. Il pousse le vice jusqu’à se demander s’il l’admire ou pas. Il s’efforce de s’extirper du politiquement correct hexagonal pour retracer sa vie. Bref, il fait tout ce que j’aurais pu, dû, je ne sais plus, faire, et que je n'ai pas fait, et ce type m’attrape par les tripes. Cela me réveille même la nuit, brutalement. Je quitte alors subrepticement le lit douillet pour me remettre à lire, emballé que je suis, horrifié, émotionné, torturé.., bref, je vis tout en lisant, je sens ma propre vie vibrer dans ce que je lis. C’est incroyablement fort. Quand je lis, j’oublie tout, je suis ce héros et en même temps je suis l’auteur qui écrit sur lui. Quand je lis. Car quand j’arrête de lire, je redeviens ce raté, le mien. Pour l’instant, car je ne sais pas encore comment tout cela finira. Sans doute mal. Peut-être en raté magistral ? On ne sait jamais, il ne faut pas toujours désespérer.

« Attends, m’a dit Pavel, un universitaire franco-russe reconverti dans les affaires, il faut arrêter de dire n’importe quoi. Tu sais ce que j’ai lu – dans le Nouvel Obs, je crois ? Que c’est tout de même bizarre si Polikovskaïa (Anna – journaliste) s’est fait descendre, comme par hasard, le jour de l’anniversaire de Poutine. Comme par hasard ! Tu te rends compte du degré de connerie qu’il faut pour écrire noir sur blanc ce comme par hasard . Tu imagines la scène ? Réunion de crise au FSB (ex-KGB). Le patron dit : les gars, il va falloir se creuser la cervelle. C’est bientôt l’anniversaire de Vladimir Vladimirovitch (Poutine), il faut vraiment qu’on trouve un cadeau qui lui fasse plaisir. Quelqu’un a une idée ? Ça gamberge, puis une voix s’élève : et si on lui apportait la tête d’Anna Politkovskaïa, cette emmerdeuse qui ne fait que le critiquer ? Murmure d’approbation dans l’assistance. En voilà, une bonne idée ! Au boulot les enfants, vous avez carte blanche. Excuse-moi, dit Pavel, mais cette scène-là, je ne l’achète pas.(…) Et tu sais quoi ? La réalité, c’est ce qu’a dit Poutine, qui a tellement choqué les belles âmes d’Occident : l’assassinat d’Anna Politkovskaïa et le raffut qu’on fait autour causent beaucoup plus de tort au Kremlin que les articles qu’elle écrivait de son vivant, dans son journal que personne ne lisait. »

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Le génie d’Emmanuel Carrère, c’est d’oser. Il se joue des risques d’une telle biographie, sans se laisser arrêter par des préjugés ni par des analyses franco-centrées, en persévérant jusqu’au bout de son enquête. Il finira mal, comme le prédit Limonov lui-même, c'est-à-dire bien, pour un écrivain.

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