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10 juillet 2013

49 Et on m'appelle (èèèl) l'occidental...

 

J’ai croisé la route de Samira C. en juin 1992. À l’époque, cette accorte Tunisienne d’une quarantaine d’années, offrait généreusement à la vue de ses interlocuteurs une longue et ondulante chevelure de jais qui lui tombait sur les épaules. Il me semble me souvenir qu’elle était célibataire, riche et cultivée. Elle parlait un français impeccable. J’eus le privilège de la promener dans ma modeste voiture (elle désirait visiter Sète). J’en profitai pour introduire en son honneur dans mon autoradio, une cassette de Raï dont j’étais particulièrement fan (et fier de l’être), qui comportait la fameuse chanson Aïcha de JJ Goldman, composée et chantée par Khaled. (Aïcha, Aïcha, écoute-moi…Aïcha, Aïcha, t’en vas pas…sans toi, je n’existe pas, etc.) À ma grande stupéfaction, je constatai à sa grimace spontanée, que rien ne semblait plus vulgaire à ses oreilles que le Raï. Elle avait la grimace on ne peut plus expressive. J’ignorais alors que cette musique populaire émanait des bars interlopes d’Alger ou d’Oran. J’éjectai aussitôt Khaled et me rabattis prestement sur Oum Kalsoum, dont je possédais par bonheur une cassette, pour ne pas dégringoler dans son estime pour l’éternité.

obscure et limpide (Zaz)

La Fédération Française m’avait chargé d’accueillir l’équipe olympique tunisienne de tennis de table au centre national « Bernard Jeu » de Mèze (Hérault). Samira C. était responsable de la délégation. Je devais m’occuper de leur entraînement, en concertation avec leur sympathique entraîneur chinois Han Hoa (je ne suis plus sûr de son nom), en même temps que je devais gérer la participation de partenaires français d’un niveau suffisant pour élever l’entraînement. C’était l’ultime stage de préparation des joueurs tunisiens qualifiés aux jeux olympiques de Barcelone, dans des conditions climatiques identiques, il faisait très chaud ce mois-là à Mèze.

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(Francis Bougy dans ses oeuvres, photographié par Michel Veron, l'auteur reconnaissant...)

En décembre 1994, deux ans plus tard, je fus envoyé en Tunisie, à l’université de Sfax, au département des STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) pour organiser une session de formation d’entraîneurs dont avait besoin la fédération tunisienne. Ce fut la seule fois de ma vie professionnelle où je travaillai un jour de Noël. Pendant le stage, je m’enquerrai de Samira C. auprès des responsables tunisiens. Je pensais obtenir ainsi son numéro de téléphone et lui passer un appel de courtoisie. Je fis face à un silence, sans doute gêné, bien que je n’en comprisse pas la raison réelle. J’insistai. Comme mes rapports avec les responsables ou les élèves en formation étaient des plus chaleureux, je me permis d’insister. Je n’eus droit qu’au même silence gêné répétitif. J’oubliai alors l’affaire et ma supposée courtoisie.

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La veille de mon retour en France, la fédération tunisienne me rapatria par avion sur Tunis d’où je devais prendre un vol pour Paris. Le soir, le président de la fédération en personne vint me chercher dans le hall de l’hôtel dans lequel j’étais hébergé et m’emmena en taxi jusqu’à un des hôtels les plus luxueux de Tunis, appartenant à une chaîne émiratie. Là, dans une sorte de coin-salon cossu aménagé dans l’immense hall, nous retrouvâmes Samira C. cornaquée par le trésorier de la fédé d’un côté et le secrétaire général de l’autre. On m’installa dans le fauteuil qui lui faisait face, à deux mètres de distance au moins, et le Président s’assit à mes côtés. Ils répondaient ainsi à mon attente que j’avais maintes fois exprimée. Ils auraient sans doute considéré déshonorant de ne pas le faire, tout en ne sachant comment répondre à une demande aussi attentatoire à leur culture comme à l’honneur de Samira C. Nous nous faisions face à présent et personne ne savait comment engager la conversation, ni de quoi parler, encore moins Samira C., interloquée de se retrouver face à moi. Et sur le plus bas échelon de l’échelle de la honte, il y avait le candide occidental.

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(le candide occidental...oups ! elle y est déjà) 

Cette histoire tunisienne démontre l’étendue de mon ignorance d’alors de la culture du voisin d’en face. Elle me ramène tout naturellement au livre de Gilles Kepel, Passion arabe. Je ne pouvais pas le laisser filer sans y revenir encore une fois (voir chronique 48, Ahmed et moi), lui qui est passé et repassé par la Tunisie, depuis l‘éclosion du « printemps arabe ». La lecture de son remarquable ouvrage de témoignages, me semble en effet fondamentale, pour qui désire comprendre au mieux ces révolutions arabes.

Parmi tous ceux que je retrouve à la conférence (Istanbul – 13 octobre 2012), le Palestinien Wadah Khanfar est le plus applaudi. Célébré en star, l’ancien directeur d’Aljazeera participe au débat inaugural… Il prend la parole devant un parterre composé en bonne partie de jeunes sympathisants et militants de l’AKP. Beaucoup de filles sont voilées, mais ces voiles se déploient en une gamme infinie de couleurs bariolées. Elles ont le visage maquillé avec recherche et sont d’allure svelte, signe qu’elles fréquentent assidûment les salles de gymnastique, contrairement à leurs consœurs arabes. Ces jeunes suivent les canons d’une mode pieuse nationale affichée en couverture d’une débauche de  magazines sur papier glacé et aux devantures des boutiques, dans les centres commerciaux branchés des quartiers islamiques de la métropole aux seize millions d’habitants. Elles se veulent « musulmanes et modernes », selon le titre qu’a donné à ce phénomène le livre de mon amie Nilüfer Göle, la première sociologue à l’avoir analysé…

« Istanbul est notre capitale ! Je suis un Palestinien, non un Turc, mais je sais que mes aïeux considéraient déjà avec admiration Istanbul comme leur capitale. Certains d’entre eux sont d’ailleurs tombés en martyrs dans l’armée turque [tonnerre d’applaudissements]. Je voudrais saisir cette occasion pour une réconciliation avec le lieu et avec l’histoire. Notre région, pendant le siècle écoulé, est passée par d’énormes vides de l’histoire et des déficits de mémoire ! Nous n’y avons pas choisis l’ordre des choses, il a été choisi pour nous par deux fonctionnaires, l’Anglais Sykes et le Français Picot, et les frontières que nous avons reçues, révérées comme des icônes nationales, n’ont pas été tracées en fonction de notre intérêt »… [Khanfar fait des printemps arabes un soulèvement qui permettra aux peuples de la région de retrouver leur identité au sein du « Sharq », cet « Orient » qu’il appelle de ses vœux] « Turcs, Arabes et Iraniens ont été pendant des siècles le cœur de la civilisation du monde. Il est temps à présent de retrouver cette centralité, de la reprendre à l’Occident et de la faire nôtre […]. La Syrie pourrait constituer un nouveau départ pour notre région et la position que la Turquie y a gagnée est en ligne avec ce renouveau. Quant aux pouvoirs qui soutiennent le régime de Damas, ils s’accrochent au passé ! »

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