Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lire sa vie
lire sa vie
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 36 370
6 septembre 2013

57 Je n’ai pas arrêté de me suicider !

C’est le moment d’en parler, je crois, au retour des vacances, quand on retombe dans son train train horriblement quotidien, quand on retrouve son désordre éternel, toutes ces petites choses encombrantes qu’on peine à ranger, parce qu’elles n’ont pas vraiment de place, des encombrants dont on ne peut plus se débarrasser sinon en se débarrassant une bonne fois de soi, tous ces papiers et documents qu’il faut absolument conserver pour préserver une identité, la sienne paraît-il, au milieu de toutes ces décisions qu’on traîne à prendre alors qu’il faudrait trancher, en plus de tous les échecs grands et petits qui s’additionnent et qui font que ça commence à faire lourd. Mes amies, et amis, ma rentrée est plombée. Alors on succombe à la dure réalité de sa vie qu’on avait complètement occultée durant la parenthèse enchantée, loin de chez soi, loin de ses emmerdes, loin de ses échecs. Même s’il y a quand même des emmerdes en vacances, ils sont différents, ce ne sont que des petits emmerdes de vacances, quant aux éventuels échecs, ils sont insignifiants, je n’ai jamais réussi à rester debout sur la planche à voile plus de dix secondes. Ainsi, maintenant que les vacances sont terminées et que les crustacés sur la plage sont abandonnés, que tout devient à nouveau pénible à supporter, l’envie de suicide revient me titiller. Je rêve d'un lâcher prise définitif ! Ce n’est pourtant pas compliqué ! Au fond, je suis fait pour ne rien faire ou pour ne faire que ce que j’ai envie et à mon rythme. Comme je n’atteins jamais ce nirvana et qu'au contraire, j’accumule déboires, échecs, catastrophes, plus toutes les contraintes collatérales, ça me pousse au suicide.

941270_372748579515295_1596954309_n

Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours eu des velléités de suicide. C’est très sérieux le suicide. Attention !, cela ne me prenait pas à tout bout de champ, sinon l’affaire serait réglée depuis belle lurette. Comme vous le savez, le suicide n’est pas un acte qu’il faut prendre à la légère. Il faut beaucoup de réflexion et de concentration pour le mener à bien. Mon premier souvenir de suicide, c’était quand j’étais môme, je devais avoir dix ans, je m’en souviens parfaitement. Ce fut mon premier échec aussi. J’étais paniqué à l’idée d’être abandonné de mes parents. J’ai donc préféré les quitter avant qu’il ne me laisse tomber. Je suis allé jusqu’à l’étang près de chez moi, (derrière chez moi, ya un étang, deux beaux canards s’en vont nageant…v’la l’bon vent…), j’ai cherché le pavé le plus lourd que j’étais capable de transporter, je me suis mis au bord, j’ai fermé les yeux et j’ai sauté. Je ne pouvais pas me boucher le nez puisque je tenais le pavé serré contre mon ventre avec mes deux mains. L’eau était d’une opacité telle que j’imaginais un abîme. Mes deux souliers vernis se sont enfoncés dans la vase, l’eau glacée m’a rapidement couvert jusqu’à la taille, et j’ai lâché la pavé qui s’est précipité sur mes pieds. J’avais bonne mine en rentrant à la maison sans mes souliers vernis, restés prisonniers de la vase, et mes mollets maculés de boue. Je ne sais plus ce que j’ai inventé comme excuse. 

7258_357054984417988_1004755539_n

J’ai produit (moi-même) mon suicide suivant après une série de râteaux mémorables lors de mes premières tentatives pour conquérir le cœur (et le corps) des filles, ou le corps (et le cœur) des filles, je ne sais plus, c’est très loin tout ça. Je devais avoir 16 ans. Ce dont je me souviens très bien, c’est que je n’y arrivais pas, je ne savais pas y faire même si j’étais plutôt joli garçon. J’avais un manque de confiance en moi qui tarissait la moindre tentative. Je n’osais pas les aborder et quand j’osais par miracle, je bafouillais et rougissais, donc je n’osais plus. Les filles préféraient toujours les garçons qui les épataient même s’ils sonnaient creux comme des cloches. Je me suis alors dit que la vie sans les filles ne valait pas d’être vécue et me suis résigné à me suicider, la mort dans l’âme avant celle du corps. Mais je voulais quand même qu’elles sachent, tant qu’à faire, que je me suicidais à cause d’elles. J’ai découvert à cette occasion que ce genre de suicide en réalité n’en était pas un mais plutôt une ultime tentative pour attirer l’attention des filles. On disait à l’époque qu’elles étaient romantiques. C’était une tromperie, elles ne l’ont jamais vraiment été. Quelques unes peut-être mais je n’en suis plus si certain et de toute façon, je ne tombais jamais sur celles-là, sans doute par pur atavisme. Ce drôle de suicide qui n’en était pas vraiment un, était vraiment compliqué à réussir, parce qu’il fallait bien sûr se rater sans que la simulation soit évidente. Il fallait prendre un risque calculé. Par exemple, traverser une avenue à grande circulation sous leurs yeux l’air de s’en foutre de sa vie. Ce fut un concert de klaxons, une envolée d’embardées, de coups de frein intempestifs, de jurons, d’insultes, de « tu veux te suicider p’tit con », « tu peux pas le faire tout seul dans ton coin », eh non justement, et un soulagement inouï d’arriver sain et sauf de l’autre côté, pour enfin se retourner discrètement et contrôler si l’élue de son cœur a bien observé l’incroyable scène. Pas de chance, elle s’est déjà barrée. Elle ne s’est rendu compte de rien.

943489_350407238416096_877427830_n

Le suicide le plus sérieux de ma vie se présenta de lui-même à trente-cinq ans. Non pas que les tentatives précédentes ne fussent pas sérieuses, elles l’étaient, et auraient tout aussi bien pu réussir, mais l’état du récipiendaire n’était pas aussi lamentable qu’il le fût quand il réalisa brusquement que ce qu’il avait fait comme choix de vie (sauver le monde du désastre et le rendre meilleur) et tout ce qu’il avait pensé, entrepris et réalisé dans ce sens n’était que du vent finalement parce que le monde s’en fichait éperdument d’être sauvé, ne cherchant à aller qu’à sa perte. C’est terrible à dire. J’en tremble encore. Se tromper sur toute la ligne, ou de A à Z, ou s’enfoncer le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate au moins, et se retrouver tout nu un petit matin blême, sans plus aucune idéologie à se mettre sur la peau pour se réchauffer le cœur, sans plus de parti pour se laisser guider dans sa vie, tout ça parce qu’on s’est fait expulser pour haute trahison, parce que le gourou que je suivais les yeux fermés m’a jeté comme un malpropre au moment où il n’y avait plus rien à gratter et que l'aveu d’un bon traître masochiste pouvait au contraire servir d’exemple, y-a-t-il quelque chose de plus terrible dans son monde ? Je me réveillais un vilain matin sans la moindre certitude pour me conforter et sans le sou parce que j’avais tout donné. C’était l’apocalypse de mon petit monde.

246429_469714046390550_49569502_n

Alors je me suis enfermé dans mon studio minable avec quelques litres d’alcool fort à bon marché et quelques boîtes de barbiturique, je me suis étendu sur le lit étroit, j’ai fermé les yeux et j’ai attendu que la mort vienne me prendre dans ses bras salvateurs. Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi dans le noir mais quand j’ai rouvert les yeux, je me sentais encore plus mal qu’avant, si c’était possible, la tête prise dans un étau tellement serré qu’elle ne demandait qu’à éclater, le ventre tellement barbouillé que des spasmes me faisaient vomir de la bile jaune malodorante, le cœur battant à fendre l’âme, merde merde et merde je me suis dit, c’est encore raté.

cellule 2

Puis la vie a lentement repris le dessus comme on dit. À commencer par un petit déjeuner avec un bon café et un croissant avec vue plongeante sur le magnifique cimetière municipal et ses cyprès droits comme des verges ; à suivre par des balades en ville pour constater que les filles étaient toujours aussi belles mais pas suffisamment pour donner l’envie de mourir, et aussi, la tarte à la crème, non je veux dire ce que tout le monde sait au fond de lui, tout au fond derrière la laideur de nos faubourgs, la beauté de la nature.

corse 1

Bien sûr, je ne vis pas en Finlande, le pays paraît-il où fleurissent les suicides. Je trouve cependant l’idée d’Arto Paasilinna d’un suicide collectif dans la joie et la bonne humeur tout simplement géniale. Attention, je ne parle pas de suicide dans une secte obtuse et néanmoins illuminée dans le sens mystique du terme. Je parle d’un rassemblement de suicidaires convaincus qui se réunissent en petite communauté pour partager leur passion mortifère, ce qui les transforment, en attendant de réaliser leur tentative définitive, en joyeux lurons ! Finalement, il est plus facile de mourir ensemble entre adultes consentants, unis dans la vie, que solitaire abandonné et désespéré chacun dans son coin, où on a toutes les chances de se rater. Pas de panique, mes amies, mes amis, vous n’êtes plus seul à penser à vous suicider. Rejoignez l’association des mortels anonymes pour organiser vos « petits suicides entre amis » ! Entretemps, avant le dernier acte définitif, vous verrez du pays et vivrez intensément vos derniers instants. Finalement, la vie deviendra tellement trépidante et passionnante que vous repousserez ensemble la date ultime du passage de vie à trépas, tant que faire se pourra ! Merci Arto Paasilinna.  

  L’on constata qu’il ne faisait pas bon vivre en Finlande, la société était dure comme du granit. Les gens étaient cruels et jaloux  les uns des autres. Le goût du lucre était général, tous couraient après l’argent avec l’énergie du désespoir. Les Finlandais étaient sinistres et malveillants. S’ils riaient, c’était pour se réjouir du malheur d’autrui. Le pays grouillait de traîtres, de tricheurs, de menteurs. Les riches opprimaient les pauvres, leur faisaient payer des loyers exorbitants et leurs extorquaient des intérêts prohibitifs. Les déshérités, de leur côté, se conduisaient en vandales braillards et n’élevaient pas mieux leurs enfants : ils étaient la plaie du pays, à couvrir de graffitis les maisons, les objets, les trains et les voitures. Ils cassaient les carreaux, vomissaient et faisaient leurs besoins dans les ascenseurs. Les fonctionnaires tout-puissants passaient leur temps à imaginer de nouveaux formulaires pour humilier les gens et les faire courir d’un guichet à un autre. Commerçants et grossistes se liguaient pour racler jusqu’au dernier sou les fonds de poche des malheureux. Les promoteurs immobiliers construisaient les logements les plus chers de la planète. Si on tombait malade, des médecins revêches vous traitaient comme du bétail bon pour l’abattoir. Et si, las de supporter tout cela, on sombrait dans la dépression, des infirmiers psychiatriques brutaux vous passaient la camisole de force et vous injectaient de quoi vous obscurcir vos dernières pensées un tant soit peu sereine.

Arto Paasilinna, Petits suicides entre amis, folio

cvt_Petits-suicides-entre-amis_1042

Publicité
Commentaires
T
Le choix<br /> <br /> Tous les jours, chacun/e d'entre nous, dès le matin, a le choix de vivre ou de...mourrir au cours de la journée. Ce qui est très excitant et responsabilisant à la fois.<br /> <br /> Ce qui déterminera notre choix, c'est une ou plusieurs raisons de vivre ou non cette...<br /> <br /> journée et toutes celles qui suivent....
Répondre
M
Quel moment jubilatoire que la lecture de ce livre !!<br /> <br /> Belles photos de Zahira et de Zaz....<br /> <br /> Reviens Pierre, c'est encore l'été ici........
Répondre
lire sa vie
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité