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19 septembre 2013

59 L'avenir dure longtemps

 

J’aime bien ce titre. Ne me demandez pas pourquoi, ce serait trop long à expliquer. D’ailleurs je n’aime pas expliquer. J’aime bien raconter, m’épancher, étaler ma vie, tout ce que vous voulez, sauf expliquer. N’insistez pas. C’est chiant d’expliquer. On croit avoir mis la main ou le cerveau sur une explication rationnelle ou corporelle et il s’avère rapidement qu’elle est bancale. Il y a toujours un aspect qui manque au tableau. Le détail qui tue l’explication. Alors il faut tout recommencer. L’explication est un éternel recommencement. Elle est promise à un long avenir.

Ceci est donc mon fantasme ambivalent : je n’aime pas expliquer mais j’ai besoin de comprendre.

 

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Ce titre (qui me parle) est d’Althusser, vous savez, Louis Althusser, le philosophe fou meurtrier de sa femme (Hélène Rytmann) en 1980 par strangulation. Justement, pendant son internement en hôpital psychiatrique (1980-1983), suite à son acte perpétré en pleine crise de démence selon le jugement, il a essayé, après avoir été soigné, d’en comprendre la raison, pour lui-même d’abord, et ensuite pour se justifier auprès de ses amis, connaissances et lecteurs. Ses explications sont longues car il remonte jusqu’à ses grands-parents. Elles sont aussi et surtout tragiques. Ni le meurtre ni la folie ne sont choses légères, évidement, mais on atteint avec Althusser des intensités peu communes, où l’on découvre que les moments les moins pénibles de sa vie se passèrent dans les camps allemands de prisonniers durant la guerre 39-45. Cela veut tout dire.

 

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Je dois reconnaître qu’au début, j’ai trouvé ses explications compliquées à suivre, trop de référence à mon goût à l’inconscient. Je ne crois pas à l’inconscient, je crois qu’on peut toujours trouver une explication par soi-même en soi-même (sauf si l’on est atteint d’une maladie mentale), en déterminant le désir qui nous anime, même à son stade spontané, je pense qu’il n’y a pas de mystère en soi. Évidement, cela demande du temps et beaucoup d’effort. On n’a rien sans rien. C’est la raison pour laquelle à la psychanalyse, j’ai toujours préféré l’introspection poussée, ou l’ « auto-analyse », vous voyez ? (ce n’est pas le cas d’Althusser qui utilise les deux). Bon ! Jusqu’à preuve du contraire, je ne suis pas dément. Je suis un lecteur attentif de la philosophie de Robert Misrahi (la jouissance d’être) qui nie l’inconscient et récuse la psychanalyse (en ce qui concerne les sujets sains d’esprit). Je ne parle que de ce que je comprends, ou plutôt, je ne parle que de ce que je crois comprendre. C’est plus juste ainsi. Je sais parfaitement qu’il y aura toujours quelque chose qui m’échappera et je l’accepte, on ne peut pas tout restituer, surtout en ce qui concerne son histoire avant d’être né, mais l’essentiel pour moi est de s’en approcher au plus près. Dit ainsi, tout cela semble d’une tristesse infinie, contraire à la vie elle-même. Je sais. Mais, une fois libéré, désaliéné, c’est comme si vous aviez repeint tout votre logement en blanc ! C’est lumineux ! Vous vous étiez presque résigné à vivre pour toujours avec vos angoisses, vos idées noires, et là, pffft, disparues dans l’air avec les vilaines odeurs. C’est presque miraculeux. Mais ce ne l’est pas, car la vie continue.

 

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(Hélène Rytmann)

Louis Althusser est né en Algérie en 1918 dans la maison forestière du « Bois de Boulogne ». Cette forêt domine Alger m’a confirmé mon ami Ahmed quand je lui ai demandé. Il m’a dit pourquoi, tu lis encore Althusser ? Plus personne ne lit Althusser mon vieux. Il a ajouté que pendant ses cours de socio à Alger, on leur parlait d’Althusser, c’était dans les années 70, il ne l’a jamais lu pour autant. Moi non plus je ne me souviens pas de l’avoir lu. Pourtant, à l’université de Vincennes en 1969, en suivant ardemment les cours de Nicos Poulantzas, son disciple, vous pensez bien que j’aurais dû. Enfin, je n’en suis pas si sûr. J’ai peut-être oublié parce que je n’ai pas bien compris. J’étais de toute façon trop attiré par la pratique pour m’attarder sur la théorie. C’est pourtant pourvu d’un enthousiasme fou que j’ai suivi tous les enseignements des profs de socio à l’université de Vincennes en 1969, tout en piaffant d’impatience de me lancer dans le grand bain quotidien de la révolution prolétarienne, en pratique. J’étais un piètre intello qui ne rêvait que de pratique, d’immersion comme ouvrier au sein du prolétariat. J’avais grand besoin d’une famille, voyez-vous, la mienne s’étant diluée dans le néant. Je fantasmais sur cette grande et magnifique famille que représentait le prolétariat à mes yeux. Je souhaitais en outre à travers ma petite personne, aussi, résoudre la contradiction entre travail intellectuel et travail manuel, cheval de bataille justement de Poulantzas.

 

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Revenons à Althusser. Bingo ! Lui, ce n’est pas une famille qu’il a trouvé au sein du parti communiste mais la vraie vie à partir de son corps dont il avait été privé par sa mère. Et cette vraie vie n’est pas triste au vu des petits procès genre l’aveu dans de simples cellules de quartier, avec exclusion pour haute trahison etc., sans les exécutions à la Stalinienne, encore heureux. (Il décrit la CGT et les militants communistes ouvriers exactement comment je les ai découverts et subis, aristocratie ouvrière méprisant les OS). Finalement, dans son effort pour comprendre de quoi son corps et sa pensée sont faits, Althusser confirme à mes yeux la philosophie de Misrahi, lui-même s’inspirant de Spinoza, tout comme Althusser d’ailleurs, ceci expliquant cela, qui donne comme moteur de vie le désir, d’abord spontané (désir inconscient pour Althusser) puis réfléchi (conscient pour Althusser), et celui que découvre notre homme est celui que sa mère lui a d’abord refilé.

 

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Et là, d’intéressant, le livre devient passionnant. Althusser est d’une clairvoyance stupéfiante quand il écrit sur ses deux constantes, le catholicisme et le communisme, le premier transmis par sa mère lui ayant dénié son corps (il n’a découvert la sexualité qu’à 29 ans dit-il) empêtré dans le fantasme de pureté et de pensée pure, le deuxième dont la découverte (lorsque je rencontrai le marxisme, ce fut par mon corps que j’y adhérai – p 247) lui a permis de se trouver enfin un corps et de réaliser son propre désir en développant le primat du corps actif. Primat du corps actif – primat de la pratique, vous fais-je remarquer en passant. Il y a alors une série de pages sur Spinoza, Marx et sur l’existence matérielle de l’idéologie, que je trouve prodigieuses. Et, ne puis-je m’empêcher de penser, comme l’avenir dure longtemps selon ses propres termes, que l’on peut aussi interpréter en ce qu’il dure encore aujourd’hui, à l’aune de ce qu’on observe du retour de l’idéologie identitaire trimballant sa dose de pureté, de tradition, de retour aux sources, aux racines, etc., qui se conclut forcément par beaucoup de fermetures, d’exclusions, de xénophobie et autres racismes, parfois d’une violence coupable…tout cela ne visant qu’à l’hégémonie idéologique, voie d’accès à l’appareil d’État.

Le corps, son exercice exaltant, la marche dans les bois, la course à pied, les longues échappées à vélo sur des montées exténuantes – toute cette vie enfin trouvée et devenue mienne avait remplacé à jamais la simple distance spéculative du vain regard. J’ai dit que je connus la même exaltation personnelle dans les travaux physiques de la captivité. Une profonde constance qui a fixé à jamais mon destin, pour y reconnaître mon propre désir à moi (pas celui de ma mère, qui avait une sainte horreur de tout contact physique, tant elle était obsédée par la « pureté » de son corps qu’elle protégeait de mille façons, avant tout par ses innombrables phobies, de tout empiètement périlleux). J’étais enfin devenu heureux dans mon désir, celui d’être un corps, d’exister avant tout dans mon corps, dans la preuve matérielle irréfutable qu’il me donnait d’exister vraiment et enfin. (…) Lorsque je « rencontrai » le marxisme, ce fut par mon corps que j’y adhérai. Non seulement parce qu’il représentait la critique radicale de toute illusion « spéculative », mais parce qu’il me permit non seulement de vivre, par la critique de toute illusion spéculative, un rapport vrai à la réalité nue et aussi de pouvoir vivre désormais ce rapport physique (de contact mais surtout de travail sur la matière sociale ou autre) dans la pensée elle-même. Dans le marxisme, dans la théorie marxiste, je trouvai une pensée qui prenait en compte le primat du corps actif et travailleur sur la conscience passive et spéculative, et pensai ce rapport comme le matérialisme même. J’en fus fasciné et j’adhérai sans nulle peine à cette vue qui ne m’était pas une révélation car elle était mon bien. Dans l’ordre de la pensée pure (où régnaient encore en moi l’image et le désir de ma mère), je découvrais enfin ce primat du corps, de la main et de son travail de transformation de toute matière, qui me permettait de mettre fin à mon déchirement interne entre mon idéal théorique, issu du désir de ma mère, et mon propre désir qui avait reconnu et reconquis dans mon corps mon désir d’exister pour moi, ma propre façon d’exister. Ce n’est pas un hasard si je pensai, dans le marxisme, toute catégorie sous le primat de la pratique, et proposai cette formule de la « pratique théorique », formule qui comblait mon désir de compromis entre le désir (spéculatif, théorique, issu du désir de ma mère) et mon propre désir que hantaient non pas tant le concept de pratique, que mon expérience et mon désir de la pratique réelle, du contact avec la matière (physique et sociale), et de sa transformation dans le travail (ouvrier) et l’action (politique). Or cette formule, « penser, c’est produire », est déjà dans Labriola. Personne ne s’en est avisé, mais qui avait lu Labriola en France ?

Louis Althusser, L’avenir dure Longtemps, autobiographie, Champs essai

 

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