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18 octobre 2016

177 Métissage !

 

   Il y a différentes façons d’appréhender la culture. Une d’elle est de l’aborder en spectateur. Je vais au spectacle ou je condescends à l’humanité par la lecture d’un livre, en bon bourgeois que je suis. Même si je suis choqué à la fin du spectacle qui me prend à témoin, voire qui tire sur moi en balles à blanc bruyantes, je reste néanmoins spectateur. Après le spectacle ou à la fin du livre, choqué ou pas, je rentre ou je suis chez moi, bien au chaud dans ma vie sans bavure, sans fracture, sans meurtrissure, sans blessure, à peine quelques égratignures et autres éraflures. Une toute autre façon est de vivre la culture dans sa chair. Il y a des artistes de la vie. L’écrivain qui vient est de cette trempe. Le métissage est une manière de vivre la culture dans sa chair. L’altérité ouvre par nature d’autres horizons, dans la vie aussi bien que dans les livres, la musique ou les spectacles. Être un métis de père Français et de mère Burundaise (soyons précis, une Tutsi du Rwanda réfugiée au Burundi), fait entrer de plein pied dans la tumultueuse culture de la vie où les balles ne sont pas toujours à blanc. C’est naître en enfant innocent comme tous les enfants du monde jusqu’au moment où la haine de l’autre entre dans son monde et contraint (par pression de l’environnement) à prendre parti, ce que l’enfant avait évité de faire, par intuition. Même quand la fureur de la guerre civile se rapproche à coups de Kalachnikov et d’histoires de massacre, ici de Tutsis par des Hutus, tant que c’est possible de regarder ailleurs, l’enfant (comme son père) regarde ailleurs, en espérant toujours ne jamais y être mêlé. Mais la stratégie de l’autruche n’a jamais marché. Aussi bien il regarde ailleurs parce qu’il a peur et qu’on ne sait jamais ce dont on est capable dans pareilles circonstances avant de les avoir affrontées. Il les affronte donc avec le tournis dans la tête au bord de l'évanouissement et un grand mal effroyable au ventre.

 

tutsi

(photo extraite du site emaze)

 

Le directeur de l’école, accompagné de gendarmes de l’ambassade de France, nous a réunis sous le grand préau pour nous exposer les nouvelles consignes de sécurité. Les massifs de bougainvilliers entourant l’école avaient été remplacés par un haut mur en brique permettant de nous protéger des balles perdues qui venaient parfois se loger dans les salles de classe. Une profonde anxiété s’était abattue sur la ville. Les adultes avaient le sentiment de l’imminence de nouveaux périls. Ils craignaient que la situation ne dégénère comme au Rwanda. Alors on se barricadait toujours un peu plus, et cette saison de violence avait pour conséquence de faire pousser grillages, vigiles, alarmes, barrières, portiques, barbelés. Tout un attirail rassurant nous persuadait que l’on pouvait écarter la violence, la tenir à distance. On vivait dans une atmosphère étrange, ni paix ni guerre. Les valeurs auxquelles nous étions habitués n’avaient plus cours. L’insécurité était devenue une situation aussi banale que la faim, la soif ou la chaleur. La fureur et le sang côtoyaient nos gestes quotidiens.

Gaël Faye, Petit pays, Grasset.

 

petit pays

   

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