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12 décembre 2019

265 Et moi, et moi, émoi !

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(Le couple de hotte Savoie)

 

Quand je suis fatigué d’avoir tout raté, quand le carcan de mes limites m’étouffe, quand je ne supporte plus mes imperfections, quand je ressens un manque vertigineux, quand les nerfs me lâchent, quand je pète un plomb ou même deux, quand je me prends pour une victime expiatoire, quand le ciel me tombe sur la tête, quand mon horoscope déraille, quand je ne comprends plus ce qui m’arrive, quand mon chien m’évite, quand ma femme me quitte, quand mes enfants me renient, quand les impôts se rappellent à mon bon souvenir, quand je ne sais plus quoi faire, quand je m’emmerde comme un rat mort, quand tout va de travers, quand je tourne en rond dans mon salon, quand je n’ai plus de salon, quand ma vie ne vaut plus la peine, quand ma journée est fichue dès le saut du lit, quand la soirée s’annonce aussi horrible que l’angoisse qui m’envahit la nuit, quand je me réveille en sursaut persécuté par un cauchemar récurrent, quand des importuns me dérangent au moment où j’ai besoin d’être seul, quand mes amis m’abandonnent à ma solitude, quand je chute de l’escabeau en accrochant les guirlandes de Noël, quand j’écrase une merde en évitant une peau de banane, quand je me tape un poteau en consultant mon portable, quand je donne le bâton pour me faire battre, quand je regrette de m’être levé, quand des témoins de Jéhovah sonnent à ma porte, quand la religion me pompe l’air, quand je rêve d’une autre vie, quand l’envie me prend de tout foutre en l’air, quand j’échoue à mes examens, quand je m’écrase comme une merde devant plus fort que moi, quand je perds là où mes concurrents gagnent, quand je n’ai plus d’argent, quand ma famille m’agace, quand je pleure ma famille, quand je dévale un escalier en pierre sur mon derrière, quand mon voisin ouvre ses persiennes au petit matin et que sa gueule enfarinée s’encadre dans ma fenêtre, quand le chien des voisins aboie toute la journée, quand le chien des voisins hurle toute la nuit, quand le matin gris ressemble à tous les matins gris, quand il n’y a plus rien à espérer, quand la vieillesse ennemie remporte le combat, quand je me fais arnaquer grave, quand je me promène en ville avec pigeon écrit sur mon front, quand je me prends les pieds dans la laisse de mon chien et qu’il me renverse sur le trottoir, quand les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent, quand un film envoûtant se termine et que la lumière de la salle se rallume sur ma vie de merde, quand je viens d’achever un roman passionnant et que le vide m’étreint, quand je me réveille d’un tendre rêve sensuel, quand la politique dérive vers les extrêmes, quand la guerre reprend du service, quand j’arrive de chez Charybde à pied et sonne chez Scylla au sixième sans ascenseur...

www.pierreferin-ecrivain.fr

 

couverture roman

Raconter cette histoire, c’est comme marcher sur des œufs, et sans le vouloir, je me suis fait embarquer.

Le corps gisait raide et inerte comme un tronc aux pieds du lieutenant de police stagiaire Sofiane Saïdi. « Trépassé depuis plus de huit heures », murmura-t-il, lui qui n’aurait loupé pour rien au monde une leçon d’autopsie.

 Il s’était réveillé tôt, frais comme un gardon (j’adore cette expression), puis s’était accordé deux croissants pour accompagner son café noir sur le zinc du bar Basque. Après, comme chaque matin, il s’était payé une sacrée trotte à pied jusqu’à l’hôtel de police, situé quai de l’embouchure le long du canal du Midi. A peine débarqué dans son minuscule bureau, son chef abhorré l’avait convoqué. Un cadavre avait été découvert au petit matin (blême), le long de la Garonne, par un promeneur de chien à la crotte matinière.

 Joseph Lataille lui avait d’entrée balancé :

-         Il y a un bou.., enfin un Maghrébin, ou plutôt son cadavre, qui t’attend à la Daurade…

Sofiane Saïdi comprit sur le champ que s’il ne s’était agi d’un Arabe, l’affaire ne lui aurait pas été confiée. Il était habitué à marcher dos au mur pour assurer ses arrières. Il était blindé en réalité parce qu’à certaines oreilles, Arabe sonne comme une injure.

 Et son chef d’ajouter :

-         Tu me règles ça vite fait, SDM, c’est sûrement un règlement de compte entre caillera du Mirail ! Un de plus !

 

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Chaque pas en avant me projette en arrière dans les profondeurs de ma personnalité. Je suppose que telle est la véritable force de l’amitié. Et l’amitié de Flaco me procure une incommensurable force.

Nous marchons sur le sable de la plage de Viña del Mar. J’ai trempé mes pieds dans l’eau du Pacifique qui porte bien son nom aujourd’hui. Nous sommes au faîte de l’été et l’eau pointe à 18°. Interdit de se baigner sur cette immense plage de sable car elle descend à pic dans l’océan et les vagues (petites aujourd’hui) s’écrasent à seulement deux mètres à peine du rivage provoquant de terribles ressacs qui emportent les téméraires au large. Nancho me raconte que Viña était une zone industrielle autrefois à côté du port de Valparaiso. Puis, quand toutes les usines sont tombées les unes après les autres englouties par la globalisation chinoise, le lieu s’est transformé en station balnéaire branchée. Nous marchons tous les trois le long de la grève sous le bruit régulier des vagues qui grondent sur le rivage. « Tu comprends » me dit Nancho, alors que Flaco s’est mis à trottiner à la frontière où l’écume s’alanguit, « la jeunesse chilienne aujourd’hui n’est plus solidaire comme nous l’étions. Elle se prosterne devant la richesse, le chacun pour soi. Il n’y a plus de vraie lutte sociale. Du temps où j’étais interné en camp de concentration, il y avait une telle amitié entre les prisonniers, une fraternité si puissante que jamais nous ne perdions espoir car nous résistions chaque seconde contre cette dictature et nous n’avions pas une minute à perdre, faisant de chaque instant un moment intéressant à travers des cours de politique, de philosophie, dans une ambiance d’entraide totale. Les jeunes de maintenant n’y comprennent plus rien. » Ses paroles me laissent perplexe. Quand même, la torture, l’internement en camp, et même si je peux entendre le fond de sa pensée, elle me laisse pantois. Même si mes dix années de maoïsme comme établi à l’usine m’ont bien permis de sentir la fierté et l’énorme chaleur, voire le bonheur issus des liens qu’engendrent la lutte, ce sera toujours anéanti au bout du compte par l’oppression de classe. Car au bout, il n’y a que la dictature. Vivre libre, ce que permet une société démocratique qui fonctionne (jusqu’à un certain point), à mes yeux, n’a pas de prix. Même si comme le rappelle Flaco, la démocratie et l’état de droit consacrent la domination d’une bourgeoisie puissante sur les classes populaires, voire moyennes. Il faut se rendre à l’évidence et bien se l’enfoncer dans le crâne. Les puissants, quels qu’ils soient, jamais ne lâcheront leur domination de leur plein gré, même après un vote démocratique. Cette crise se charge de nous rappeler cette vérité absolue. Notre système occidental fonctionne tant que les classes moyennes existent en quantité suffisante et jouissent d’un minimum de liberté et qu’il apparaît toujours possible que la justice (de classe) donne raison à des pauvres injustement traités. Les temps semblent changer et mettre à mal cet équilibre et la notion d’égalité de droits. La domination de l’Europe sur le monde est bien révolue.

www.pierreferin-ecrivain.fr

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