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30 juillet 2013

52 J'adore Mo !

Je ne voudrais pas faire un mauvais procès au quotidien Libération après avoir étrillé une de ses sélections d’été (voir chronique n°51), d’autant que je lis avec une fureur toute régénératrice un autre roman issu de cette même sélection. J’en avais choisi trois en réalité. Je n’ai pas trouvé « l’avenir dure longtemps » de Louis Althuser. Présenté comme une sorte de biographie, quelqu’un de ma génération et avec mon histoire ne pouvait passer à côté. Sans parler du titre. Et bien, je suis quand même passé à côté, au moins cette fois. La libraire en avait pourtant UN exemplaire signalé sur son ordinateur, qu’elle a été incapable de retrouver en rayon.

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Du deuxième roman sorti de cette sélection, donc, j’adore le titre déjà, je dois l’avouer, comme me l’a fait remarquer ma douce moitié (qui en vaut bien plus) « tu l’as acheté à cause du titre » ? « Non non pas du tout » lui ai-je rétorqué comme un faux-cul que je ne suis certainement pas, « en fait j’ai déjà lu un bouquin du même auteur qui m’a bien plu (voir rubrique n°46 – Retour sur les possibles). Et puis, c’est quand même un prix Nobel de littérature. Ce n’est pas rien ». Je ne sais pas si elle m’a cru, elle aurait dû. J’ai pénétré le livre en catimini mais, dès les premières pages, ce fut comme une révélation, toute une société complexe s’est incroyablement déployée devant mes yeux écarquillés. Épique ! Mieux qu’au cinéma. Ce n’est en aucun cas l’exemplarité de ladite société qui m’époustoufla, au contraire, il se trouve qu’elle est d’une rare violence, injuste, crasseuse, oppressante, traversées de famines et de guerres incessantes, peu perméable aux monothéismes, suivant une voie philosophique propre et ancestrale, non, c’est plutôt la phénoménale richesse du texte qui m’émerveilla et l’intérêt que je porte à l’histoire de ce pays et à son développement actuel impressionnant. Et, bien sûr, il faut bien le reconnaître au final, au titre engageant qui tient toutes ses promesses.

tomber des nues Zaz

En ce domaine précis révélé par le titre, je me découvris certains points communs avec l’auteur par devers son héros que nous suivons tout au long de l’histoire de sa famille. C'est bien sûr et je m’en réjouis. Mais au-delà de l’histoire des nombreux personnages, c’est toute une épopée qui s’étale avec force et nous ravis, même si elle s’avère d’une dureté redoutable quand l’auteur destine à une mort cruelle quantité de ses personnages. C’est sauvage, truculent, sans tabou, comme l’est la vraie vie. J’aurais bien aimé en sus avoir hérité d’une parcelle de la formidable force d’écriture que révèle l’auteur, bien servi, je trouve par les traducteurs. J’en bave de jalousie après en avoir éprouvé un plaisir extrême à la lecture. Dans sa description de la lutte pour le pouvoir entre l’armée impériale japonaise, le Guomindang et l’armée Rouge, Mo Yan n’utilise pas le registre de la dénonciation, il est bien au-delà, son inimitable force est de montrer au travers des scènes mêmes qu’il décrit avec une précision extraordinaire, l’injustice ou l’absurdité de dogmes ou d’idéologies déclinant certaines politiques.  

Dans le plat ne restaient que l’énorme tête du poisson et sa fine queue reliées par l’arête centrale.  La nappe blanche était maculée, sauf devant ma place où elle avait conservé sa blancheur bleutée. Un verre rempli de vin rouge fut posé bien droit au milieu de cette blancheur. « Mes chers petits amis, dit Babbitt chaleureusement en levant son verre dans notre direction, trinquons ensemble ! » Son épouse aussi leva son verre, ses doigts étaient les uns repliés les autres tendus, telle une fleur d’orchidée, et l’anneau d’or scintillait sur les pétales. Sur le bord de ses seins bien saillants flottait une lumière froide de porcelaine. Mon cœur se mit à battre la chamade. Mes compagnons de table, la bouche pleine de chair de poisson, les jambes et les mains empêtrées, se levèrent en désordre ; leurs joues, leurs nez et même leurs fronts étaient maculés de graisse brillante. Sima Liang, à côté de moi, se hâta d’avaler ce qu’il avait dans la bouche, puis il releva le morceau de nappe qui pendait sous la table et s’essuya rapidement les lèvres et les mains. Mes mains étaient toujours aussi blanches et fines, et mon habit de cérémonie immaculé, mes cheveux blonds brillaient. Mon estomac n’avait jamais digéré de cadavres d’animaux, mes dents n’avaient jamais mordu de fibres végétales. Les griffes pleines de graisse levèrent maladroitement leurs verres de vin pour les choquer contre ceux des époux Babbitt. Tandis que moi, debout devant ma chaise, j’étais le seul à lorgner, éperdu, les seins de Niandi. Je me cramponnais au bord de la table, m’efforçant de surmonter mon envie de me précipiter sur ses seins pour téter.  Étonné, Babbitt me regarda : « Et toi, demanda-t-il, pourquoi ne manges-tu pas et ne bois-tu pas ? Tu n’as rien mangé ? Rien du tout ? » Shangguan Niandi cessa un instant de prendre ses grands airs et recouvra son allure originelle, celle de ma sixième sœur ; de sa main libre, elle me caressa le cou et dit à son tout nouveau mari : « Mon petit frère est un demi-immortel, il ne mange pas les aliments des hommes. » Le parfum capiteux que dégageait le corps de ma sixième sœur m’affolait complètement, ma main trahit ma volonté et j’agrippai ses seins. Son vêtement de soie était si lisse. Elle poussa un cri de surprise et me lança son vin au visage. Elle devint toute rouge. Rajustant son décolleté que j’avais mis en désordre, ma sœur m’injuria à voix basse : « Salaud ! » Le vin coulait sur mon visage, devant mes yeux tombait un rideau rouge translucide. Les seins de Shangguang Niandi ressemblaient à deux ballons rouges gonflés au gaz qui ballotaient non pas devant mes yeux, mais plutôt à l’intérieur de mon crâne.

Mo Yan, Beaux seins, belles fesses, traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait, Points

9782020799096

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Commentaires
M
J'en connais un qui l'aurait acheté, pour sa couverture et sans vergogne !!!!!!!!!
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