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17 novembre 2013

67 Triste malaise raciste identitaire (en tête des ventes)

 

Je n’ai jamais aimé Alain Finkielkraut. Non, je ne dirai pas que je le déteste sinon vous me traiteriez de type irrationnel, ce que je me targue de ne pas être. Or, ce que je veux dire quand j’écris que je ne l’aime pas, c’est tout ce qu’il y a de plus rationnel. Je n’aime pas ce qu’il dit qu’il pense ni ce qu’il écrit, même si c’est quelqu’un qui sait argumenter et référencer ce qu’il veut dire, enfin, comme on va le voir, jusqu’à un certain point où se produit une rupture avec ce que j’appelle l’honnêteté.

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Mon intention première, je l’avoue, était de me servir de ma première phrase en titre, mais entretemps, Marcela Jacub me l’a piquée sans vergogne (tout à fait dans son personnage) dans le Libé du 9/10 novembre, en l’inversant (« j’aime Finkielkraut »), car elle adore prendre les gens à contrepied (sa rubrique s’intitule d’ailleurs « à contresens »). Sa cible en réalité n’était pas Finkielkraut (qu’elle juge halluciné) mais « les bien-pensants de gauche qui cherchent à se donner la noble mission de défendre la démocratie contre la barbarie en brandissant leur no pasaran », tout en dansant leur gigue les deux pieds dans le même sabot. Chacun comprend que leur slogan est déplumé tout autant que déprimant puisqu’ « ils » sont toujours jusqu’ici passés. Il faudrait chercher et surtout rapidement trouver autre chose pour préserver la démocratie, notre bien commun. Heureusement que j’aime beaucoup Marcela Jacub, je lui dis donc ça ira pour cette fois (d’autant que je suis assez d’accord avec elle). Mais ne recommence pas, hein !

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Revenons à la tonte de notre mouton. Je le trouve plutôt hyène d’ailleurs, après avoir suivi son émission du samedi matin sur France Culture (Répliques) pendant un an et m’être laissé pourrir tous mes week-ends – je sais, j’ai une tendance au masochisme -, je ne peux plus, je ne veux plus l’entendre. Serais-je alors victime d’un malaise quelconque et encore inconnu puisque je ne sais ce qui m’a pris vendredi dernier quand j’ai décidé d’acheter son dernier opus (L’identité malheureuse), bien que je supputasse d’avance qu’il me révulserait. J’ai sans doute succombé à la malignité de cette phrase reproduite en 4ème de couverture et qui, sacré nom de nom, résume parfaitement tout Finkielkraut au point que je pourrais m’arrêter là : la bonne conscience nous est interdite mais il y a des limites à la mauvaise conscience.

Mais je ne me suis pas arrêté là. J’ai senti venir le truc. Finkielkraut n’en peut plus (ou fait semblant) de s’être réveillé un beau matin et de trouver soudain que le monde a complètement changé sans qu’il ait lui-même participé à ce changement, ou plutôt sans qu’il ait pu quoique ce soit pour l’en empêcher. C’est quand même un comble, après avoir dominé pendant des siècles et avoir surtout pondu le système de laïcité. Attention, mes amies et tout aussi bien mes amis, nous allons clapoter ici dans la perversité parce que, à partir de ce constat stupéfiant, notre paniquard s’attelle justement à provoquer le changement qui vient.

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La méthode de ce livre racoleur est la suivante : je sers aux lecteurs des citations de « classiques » français et européens pour ensuite, vas-y que je t’embrouille, y aller de mon petit numéro de pipeau. Je mets classiques entre guillemets car Finkielkraut s’en sert déjà pour nous dire « regardez comme c’était bien ce qui se disait dans le passé », plutôt que de simplement citer ce que disent les classiques parce que c’est intéressant universellement et encore pour nous aujourd’hui (il cite notamment comme « classique » Thomas Hobbes – mais mon vieux, Hobbes nous intéresse toujours aujourd’hui). Finkielkraut en réalité est un raciste qui ne s’ignore pas car il avance crypté. Je dirais même que c’est un néo-raciste, vous allez comprendre. Il explicite ainsi quelques concepts qu’il considère comme faisant partie de l’identité française aujourd'hui, savoir l’amour galant (respect de la femme), diversité judéo-chrétienne (résultante des immigrés Juifs, Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, tous assimilés), laïcité, respect de l’autre et humilité, pour ensuite pointer du doigt ceux qui ne sont pas comme ce « nous » qu’il vient d’identifier et créer. Et qui donc pointe-t-il du doigt ? Et bien ceux des cités pardi, ceux des quartiers dits sensibles évidemment, ceux qu’il stigmatise de banlieue bien sûr, c'est-à-dire sans le dire, suivez mon regard, les Noirs et les Arabes, même qu’ils sont musulmans, les termes ne sont jamais lâchés, toujours suggérés. Oui, madame, oui monsieur, cette engeance là tout d’un bloc n’aurait aucune estime pour la femme qu’ils maintiennent sous leur domination ; plus personne parmi ces gens-là, contrairement à ceux d’avant (les émigrés judéo-chrétiens), ne veut s’assimiler ; tous, comme un seul homme, veulent imposer leur (inacceptable) religion, tous commettent tout un tas d’incivilités et, le comble, tous demandent qu’on les respecte alors qu’aucun d’entre eux ne « nous » respecte. C’est clair et net. Et ainsi Finkielkraut le crie sans l’écrire, c'est-à-dire le transpire tout au long de son hallucination, tous ces gens-là menacent la véritable identité de la France telle qu’il l’a définie une bonne fois pour toutes. « La nouvelle norme sociale de la diversité dessine une France où l’origine n’a droit de cité qu’à la condition d’être exotique et où une seule identité est frappée d’irréalité : l’identité nationale » (p 113). Exotique !, j'hallucine, comme la banane ?

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Pour chaque concept, Finkielkraut cite toujours, pour illustrer sa démonstration, un ou deux exemples des plus représentatifs et toujours « indirects », quelqu’un lui a raconté que…ou vu dans le téléfilm « la jupe », ou un enseignant en zone sensible lui a dit ceci, un autre de banlieue lui a dit cela, qu’il reproduit en citant la personne, (ou bien il a dû le lire quelque part), ou bien encore il a lu la déclaration de tel leader de banlieue ou tel leader musulman, qu’il reproduit, tous faits particuliers qu’on va considérer ici comme réels, les ayant nous-mêmes parfois observés. Les exemples sont soigneusement choisis, une succession d’ horreurs culturelles, religieuses, accompagnée de violence verbale ou physique, sensée nous convaincre de leur représentativité concernant l’ensemble. Je vous l'ai déjà dit, tous pourris !

Ici, encore une fois, comme Marcela Jacub, j’hallucine. Une minorité donc menacerait l’identité même de la France ! Pauvre France ! Mais considérons cette minorité ? Est-elle un bloc compact ? De la même origine ethnique ? Tous pratiquants et fanatiques comme un seul homme de la même religion ? Il n’y aurait donc aucun non-pratiquant parmi eux, aucun athée, aucun chrétien ? Il n’y aurait donc pas de simples croyants en leur sein ? Il n’y aurait pas, tout à fait insérés dans le tissu social de notre société, de très nombreux Arabes ou Noirs français, chefs d’entreprise, ingénieurs, avocats, enseignants scolaires ou universitaires, philosophes, sociologues, mathématiciens, médecins, géomètres, journalistes, acteurs, chanteurs, animateurs, éducateurs, sportifs professionnels, techniciens supérieurs ou inférieurs, agents de la fonction publique, employés, ouvriers, femmes de ménage, hommes à tout faire ?  (Je ne cite ici que les professions de celles et ceux que j’ai déjà un jour ou l’autre croisés ou rencontrés). Il y aurait donc en France une minorité de cinq millions d’individus (les ci-devant musulmans) formant un seul bloc, des fanatiques, qui ne respectent rien ni même les femmes, animés par leur irascible virilité (p 176 – je vous assure, Finkielkraut ne parle pas de Bush) et qui bientôt auront transformé irréversiblement « notre » identité. Finkielkraut ose cette phrase hallucinée (p 134) « Il existe certes des Français de souche. Et l’on ne doit pas tenir cette donnée pour négligeable, méprisable ou déjà coupable ». Ainsi, l’air de rien, il inverse le rapport du nombre, la large majorité est subitement transformée en minorité opprimée. Il ne dit pas précisément que ce rapport est peut-être inversé dans ces quartiers sensibles, non, il laisse planer l’ambigüité pour nous embrouiller. On ne se sentirait effectivement plus chez soi, depuis que vous et moi croisons parfois des femmes voilées ou même eniqabées. Je connais même des Françaises assimilées, figurez-vous, qui délaissent « notre » identité pour se convertir à l’islam parées du radicalisme de néophytes. Tout fout le camp voyez-vous. Nous sommes donc menacés, rien que ça. Nous leur amenons la civilisation sur un plateau, comme du bon vieux temps des colonies et ils la repoussent, ces goujats, c’est un comble. Vous savez à quoi Finkielkraut me fait penser (même s’il le récuse par avance) ? Il y avait autrefois le complot des Juifs et des Francs-maçons qui menaçait notre civilisation, ils sont remplacés par les Noirs et les Arabes aujourd’hui, tous intégristes en nuisance. Souvenons-nous opportunément que Hitler était athée et farouchement anti-religion(s). On connaît la suite.

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Finkielkraut appelle cela le vertige de la désidentification (p 85). Par contre, les intégristes juifs et catholiques ne menacent pas notre identité puisqu’ils en sont partie constituante. Finkielkraut n’en parle pas en tout cas. Et pourtant, que je sache, ils sont tout autant contre l’amour galant, pour la domination masculine, et sont prêts à toutes les incivilités pour assiéger la citadelle laïque. J’en perds mon latin.

J’en arrive enfin à ce qui représente pour moi le paroxysme de la pensée tordue de Finkielkraut (p 191) : « …l’antiracisme n’est plus le refus intraitable du racisme mais un combat acharné contre la réalité et ses émissaires. » En d’autres termes, attention les gars, vous prenez des vessies pour des lanternes, l’antiracisme aujourd’hui ne doit pas concerner ces gens-là qui menacent notre identité, sous-entendu supérieure, plus civilisée, mais doit s'appliquer à tous ceux qui voudraient que toutes les cultures se valent.

Finkielkraut cherche à nous faire peur en nous obnubilant des cités sensibles de banlieue et en stigmatisant les gens qui y habitent. C’est son cauchemar, il fait tout pour que cela devienne aussi le nôtre. Quelle est sa terreur ? "Que la haine de la France (qui habiterait tous ces gens-là) se conjugue avec la haine des Juifs" (p 187). Comme s’il fallait hiérarchiser les différents racismes, et par la même, la lutte contre les différents racismes, d’abord la lutte contre l’antisémitisme, et ensuite, peut-être, encore que, faut voir, la lutte contre le racisme anti-arabe, anti-noir et antimusulman. Faudrait peut-être plutôt stigmatiser le racisme anti-blanc. Et à cet instant-là, apparaît soudain le spectre du FN et ses candidats aux municipales ignorants et racistes. Non, mesdames messieurs, ces gens-là ne sont pas racistes, non, ces gens-là défendent « notre civilisation » au même titre que le faisait la colonisation.

Je ne dis pas que je n’ai rien appris en lisant ce livre. J’ai appris comment on peut construire un argumentaire malhonnête sur un sujet aussi important que "notre" identité. Je dis donc tout simplement que je regrette vraiment de l’avoir acheté, parce qu'ensuite, je me suis senti obligé de le lire et de le commenter. Soyez en sûrs, je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur.

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